Sociaslismes et Liberté dans les années Quarante

 

Dans les années quarante : la Liberté en question


Texte inédit, pour un séminaire de l’Univesité de Paris-8, 1996



1840 marque à coup sûr un tournant dans l’histoire du « socialisme ». C’est l’année de grandes publications théoriques. [1] C’est aussi et surtout le moment d’une transformation radicale, dans la forme et le fond, de l’expression et de la revendication populaires. Le temps des insurrections serait fini, lui fait place celui de la réflexion. Des ouvriers, des hommes du peuple, une élite bien sûr, prennent la parole et surtout la plume, créent leur propre presse, originale. [2] On interrogera ici quelques-unes de ces « voix d’en bas », principalement les deux plus importants journaux ouvriers : L’Atelier et La Fraternité. Dans un second temps, on tentera de cerner ce que furent les pratiques et les réflexions des travailleurs parisiens pendant la Seconde République.

Ces « démocrates plébéiens », comme les appelle alors Thoré, se livrent à une sévère critique de la liberté abstraite des libéraux, du libéralisme régnant. Critique évidente, dans tous les cas la même : je ne prends que l’exemple de L’Atelier. Le libéralisme, ou mieux « l’individualisme », devait conduire à l’harmonie sociale, au bien-être général. En réalité, « aristocratie des écus », il n'est qu'égoïsme : celui du « chacun chez soi, chacun pour soi », que vante si fort le mauvais philanthrope Dupin. Il désorganise la famille ; il crée chez les travailleurs l’isolement. Il a amené la division de la société en deux classes, alors que la Nation est unité, valeurs communes. [3] Il est guerre, concurrence « aveugle; désordonnée, brutale », conduit à la toute puissance du « privilège industriel », « du capital sur le travail », à une nouvelle « féodalité industrielle ». En même temps il est immobilisme, qui rend impossible tout progrès économique et social. Condamnation suprême, c’est une doctrine « fédéraliste »[4] : « La société n’est pas, à vos yeux, une union de volontés concourant à un but unique placé en dehors d’elles ; elle est tout simplement une réunion ou fédération d’intéressés. C’est une société en participation, pour nous servir d’une formule de droit. » « Votre philosophie est aussi vieille que le monde : elle fut celle de toutes les classes qui, après s’être emparés de la puissance sociale, voulurent comprimer l’activité humaine, ou la faire uniquement servir à leurs intérêts du moment. »

La question se pose aussitôt dans une perspective infiniment plus large. L'élite ouvrière a découvert dans l’action, dans les années 1830, les vertus de l’association, qui est la fin de l'« isolement » des prolétaires. Généralisée, elle sera la solution au problème de la réalisation d’une société plus juste. Mais comment bâtir une société organisée, justement ordonnée, qui soit, en même temps, réellement libre ? Comment réaliser l’association ouvrière, l’organisation du travail nécessaire, tout en respectant la liberté individuelle ? Une réflexion ouvrière se développe, à partir naturellement des constructions, des présupposés théoriques déjà existants. Car tout en somme sur ce sujet a déjà été dit théoriquement, et théoriquement critiqué[5] dès les années 1830. Aussi bien est-ce avec les matériaux dont on dispose qu’il faut reconstruire. Les ouvriers des années quarante s’essaient, sur ces bases, à façonner, « bricolent » si l’on veut leur propre système, leurs solutions concrètes, au plus près des réalités sociales et économiques qu’ils connaissent.

C’est retrouver le grand, le constant problème des rapports de la liberté et de l’égalité, de l’exercice nécessaire de la liberté dans une société organisée, bref, celui qu’avait posé le Contrat social, qui resurgit sous une forme renouvelée. L’Individu est porteur de privilège ; face à lui la Société est source de contrainte. La question a été très tôt soulevée par Pierre Leroux, dans l’introduction qu’il donne en 1833 au « Cours » de son frère dans la Revue Encyclopédique. Une fois admis que « c’est sa dignité, c’est sa qualité d’homme, c’est sa liberté et son indépendance que le prolétaire revendique », mais qu’aussi bien « c’est le même sentiment qui pousse ceux qui possèdent des biens à la conserver », on se trouve placé devant un cruel dilemme.  « Ne dites pas que la société n’est que le résultat, l’ensemble, l’agrégation des individus, car vous arriverez à ce que, nous avons aujourd’hui, un épouvantable pêle-mêle avec la misère du plus grand nombre. [...]  Mais ne dites pas non plus que la société est tout et que l’individu n’est rien, ou que la société est avant les individus. N’allez pas faire de la société une espèce de grand animal dont nous serions les molécules. [...] Au lieu que la société soit le résultat de la vie libre et spontanée de tous ceux qui la composent, n’allez pas vouloir que la vie de chaque homme soit une fonction de la vie sociale que vous aurez imaginée : car vous n’arriveriez qu’à l’abrutissement et au despotisme. [...] Nous sommes aujourd’hui la proie de ces deux systèmes exclusifs de l’individualisme et du socialisme. [...] Nous sommes ainsi entre Charybde et Scylla. [...] Notre perplexité ne cessera que lorsque la science sociale sera parvenue à harmoniser ces deux principes, lorsque ces deux tendances seront satisfaites. Alors un immense contentement succédera à cette angoisse. »[6]

J’aimerais souligner l’importance, dans la réflexion proprement ouvrière, de la liberté, qui, si elle est parfois malmenée, sinon compromise, n’est en aucune façon oubliée, et dès lors fait problème. Comptons parmi les voix d’en bas celle de Martin Nadaud.[7] On est frappé à la lecture des Mémoires de Léonard[8] par l’importance qu’il attribue à la liberté, terme majeur de son vocabulaire quand il évoque la Monarchie de Juillet. 1830 avait été une révolution pour la liberté populaire, trahie aussitôt qu’accomplie : « Tout un peuple dans la rue, fier de sa victoire sur un roi et des ministres pervers, qui avaient cherché à lui ravir les quelques lambeaux de liberté que lui avait octroyés la Charte de 1815. » Marti, Nadaud proteste contre « l'indigne et infernale législation que la bourgeoisie a imposée à nos ouvriers »,  « les privant de leurs libertés collectives » depuis la fatale « loi chapelière » du 14 juin 1791. Sa revendication première est celle de « nos libertés », « nos libertés et nos droits », liberté du travail, liberté de la Nation, indépendance et fierté. Religion, royauté ne sont que des instruments d’oppression. Et, en 1848, observera-t-il, « ceux parmi les ouvriers qui avaient toujours fait fi de leurs libertés devinrent soudainement d'une exigence qu'aucune mesure du gouvernement provisoire ne pouvait contenter. »

La liberté a été posée en droit, comme (et en effet avant) l’égalité, par la Révolution. Pour les ouvriers penseurs, il reste à en faire une réalité par l’émancipation, l’affranchissement des travailleurs. Elle leur fait problème, et ils l’entendent parfois, c’est vrai, de façon tant soit peu “ douteuse ”. Est-elle un droit naturel ? Est-elle initialement donnée, ou ne se construit-elle que finalement dans le Progrès ? Et ne serait-ce pas l'Égalité qu’il faut considérer comme première ?

Notons en passant que rares sont désormais ceux qui se réfèrent encore à la terreur ; ou seulement à la dictature. [9] Les nouveaux socialistes détestent la violence. Mais si, pour les rédacteurs de L’Atelier, il est évident que « la liberté fut justement invoquée en tout temps par les opprimés, elle fut aussi souvent le cri de ralliement des oppresseurs... »[10] Les atéliéristes sont, au départ, fortement influencés par les idées de leur maître Buchez[11], qui a sérieusement malmené la liberté individuelle, et ils en dissertent volontiers abstraitement : « L’individu n’a aucune valeur par lui-même il doit tout à la société. »[12] Quant aux icariens, après leur maître, ils ne doivent pas attacher un bien grand prix à la liberté. Pour Cabet, « La passion aveugle pour la liberté est une erreur, un vice, un mal grave, né de la haine violente qu’excitent le despotisme et l’esclavage. » « La liberté n’est donc que le droit de faire tout ce qui n’est pas défendu par la Nature, la Raison et la Société et de s’abstenir de tout ce qui n’est pas ordonné par elles. »[13] Quant aux communistes « matérialistes », ils nient ou oublient pour leur part volontiers la Liberté, au nom d’une science sociale déterministe. Pour Pillot, « l’individu n’existe qu’en tant que partie du tout » : « Tout être particulier [...] est un organisme partiel, c’est-à-dire incomplet. [...] La nature est un organisme absolu. »[14] L’Humanitaire de 1841 affirme que « l’homme est un être fatalement social. » Il est régi par ses besoins, conduit par une raison dominante. « (Il) naît avec des besoins et des facultés. »  (C'est) « la Raison, ou connaissance exacte, précise, de l’utile et du nuisible » qui doit régler la bonne marche de l’organisation sociale. Face à ce déterminisme scientifique, point, ou guère de place ici pour l’exercice du libre choix.

Ces théories excessives de L’Humanitaire ont cependant fait pratiquement l’unanimité contre elles. « Avec ce système, plus de liberté puisque l’homme est fatalement poussé ; plus d’égalité, puisque la nature visible est en contradiction perpétuelle avec ce principe, le seul social pourtant ; plus de fraternité, puisque la fraternité ordonne le dévouement et le sacrifice, antipode de l’utilité. »[15] Notons pourtant au passage que ces communistes matérialistes en arrivaient, au terme de leur réflexion, à un idéal proprement « libertaire « . La liberté (finale) qu’ils entendent conquérir une fois l’égalité vraie instaurée, sera totale. May se prononce pour l’anarchie gouvernementale : les associations, les communes se régissent par elles-mêmes, par la volonté toute puissante des individus incapables de mal faire. Pour Jules Gay,  « La liberté de l’individu sera reconnue inaliénable. Tout contrat d’aliénation, comme celui du mariage, est nul en droit naturel et impossible en réalisation. » [16] Il faut d’ailleurs dans l’immédiat se libérer de la religion : « La liberté et le bien-être des nations ont toujours été en raison inverse du crédit de leurs prêtres. [...] C’est en vain que l’on s’efforcera de faire un peuple libre d’un peuple esclave, si l’on ne commence par détruire de fond en comble les idées de mysticisme à l’aide desquelles il a été plongé dans la servitude. »[17]

Dézamy, dans son Code de la Communauté de 1842, s’est efforcé de concilier communisme, matérialisme « scientifique » et liberté. « Le socialisme [...] est un foyer ardent de vérité, de lumière et de vie ; c’est l’esprit de liberté, de loyauté et de justice… »[18] Non sans quelque embarras théorique, à partir du moment où il identifie liberté et bonheur futur : « La liberté n’est autre chose que le bonheur lui-même, c’est-à-dire le développement de notre être, la parfaite satisfaction de tous nos besoins. Elle ne peut avoir d’autres bornes que ces besoins eux-mêmes. [...] L’Égalité se définit ainsi :  des moyens proportionnellement égaux donnés à chacun pour réaliser la liberté. La fraternité est la résultante nécessaire de la Liberté et de l’Égalité ; c’est ce puissant levier qui doit remuer le monde »[19]

Mais la Liberté, c’est aussi l’individualisme libérateur de la Révolution. Comme la Révolution, la liberté individuelle reste malgré tout incontournable. Se libérant de la tutelle théorique et théologique de leur maître Buchez, les ateliéristes en ont pour leur part pris très tôt la défense inconditionnelle. Elle est inscrite dans la Charte, « fruit de l’insurrection populaire et légitime de 1830 » et garantie par elle. »[20][21] L’Atelier s’en prend vigoureusement au communisme qui fait de la société une caserne ou un couvent ; c’est le « despotisme de tous substitué au despotisme d’un seul. »[22] « Nous ne plaidons pas la cause des appétits, mais celle de la dignité et de la liberté des travailleurs. »[23] Et lorsque Louis Blanc développe ses projets d’organisation étatique du travail, le journal proteste qu'alors « les ouvriers sont plutôt affranchis qu’ils ne s’affranchissent. [...] Ils attendent qu’on les affranchisse. »[24] Là n'est pas la véritable émancipation de travailleurs. « Le peuple de 1830, malgré le despotisme des dix dernières années, n’a pas perdu le souvenir des assurances qui lui ont été données au moment de sa victoire. » Et cette liberté première est instrument de libération : « Sans la réalité de la liberté individuelle, il faudrait désespérer de l’organisation du travail [...] parce que la grande mission de recueillir et d’exposer les éléments de cette immense amélioration sociale serait toujours confiée à ces quelques économistes incompétents ou de mauvaise foi que le pouvoir tient à ses gages » « Sans la réalité de la liberté individuelle, il faut s’attendre à voir bientôt disparaître le peu qui reste de la liberté de la presse, parce que la presse signale tous les jours au pays les abus, les trahisons et les lâchetés qui compromettent sa prospérité et son avenir. »

Pour les ouvriers de La Fraternité, « fils de la démocratie française », [...] de la « démocratie moderne » la liberté est également incontournable. Ils regrettent « cette malheureuse négation de la souveraineté du peuple (qui) a été produite par quelques-uns de nos frères, qui ne s’aperçoivent pas qu’ils réduisent ainsi la grande idée communiste aux plus mesquines proportions, en la détachant du mouvement général et traditionnel. La science sociale, dit-on, est indépendamment de l’assentiment des majorités. [...] Rentrant dans la pratique, nous dirons qu’une vérité quelconque n’est évidente, c’est-à-dire applicable, qu’autant qu’elle obtient l’assentiment de la volonté publique, de plus en plus intelligente. »[25]

D’importants acquis déjà ont été obtenus. « Déjà les constitutions des peuples civilisés reconnaissent que les hommes sont libres et qu’ils sont égaux devant la loi. Cette conquête aussi pénible, aussi grande, aussi difficile, en raison des obstacles qui existaient, devait préparer et précéder celle pour laquelle la France, l’Allemagne et l’Angleterre, le communisme en tête, combattent aujourd’hui : l’égalité des conditions sociales et la fraternité... »[26] Il s’agit dès lors de montrer « que le communisme est la conséquence du développement de l’idée démocratique »[27] et « que la souveraineté du peuple et la communauté s’impliquent réciproquement. »[28] « La liberté est la faculté laissée à l’homme de prendre part, soit par lui-même, soit par délégation directe, à la formation des lois et à la nomination de ceux qui doivent les exécuter, de manifester en toute occasion et sans restriction ses pensées et ses opinions et tant qu’elles ne sont pas opposées à la saine morale. »[29] « Dans la communauté, tous sont libres de nommer ceux qui doivent les représenter. »[30] Ceci pourrait ne valoir après tout que pour le futur lumineux. Dans l’action immédiate, un Savary souligne la fidélité des communistes à l’aspect libérateur de la démocratie : « Tenons-nous toujours dans le grand courant démocratique, national, universel et civilisateur. [...] Ne nous détachons point du giron démocratique, en qui est toute force et toute vérité ; continuons l’œuvre de nos pères, rallions-nous à leur devise, liberté, égalité, fraternité, souveraineté, unité. Ajoutons-y le terme communauté qui résume ces principes et les réalisera. »[31] On en verra les conséquences en 1848.

La révolution de février accomplie, la question des rapports de la liberté, de l’autorité et de l’égalité, va se poser concrètement. On se méfiera des appréciations trop facilement généralisantes qu’on développe alors coutumièrement sur le caractère de « l’ouvrier de Paris ». Pour Audiganne,  « le culte de l’égalité, uni au sentiment national, forme, dans le domaine de la vie publique des ouvriers de Paris le trait de caractère le plus saillant et le plus universel. »[32] Ou Corbon : l’ouvrier de Paris « n'a pas pour les libertés intérieures un culte aussi fervent que les amis du progrès pourraient le souhaiter. »[33] Selon Flora Tristan pourtant c'est la liberté qui était première pour l’ouvrier français et parisien. [34] Disons qu’Égalité et Liberté sont en somme les « deux rêves » des Travailleurs[35], point toujours facilement conciliables dans la théorie et dans les faits.

Dès les lendemains de février, les « Ouvriers fondateurs de la Fraternité » proclamaient : « La France est libre. Les tyrannies ont fait leur temps ». Ils réclament les libertés totales de presse, de discussion et d’association. « Plus d’esclavage pour nos frères de la race noire » « [...] « Démocratie aussi directe que possible. Assemblées populaires immédiates dans l’intérêt de l’éducation politique des citoyens et afin de faciliter le complet et intelligent exercice des Droits et de la Souveraineté qu’il sont appelés à mettre en pratique. [...] Abolition de la loi sur les coalitions. » Au même moment Dézamy écrit dans Les Droits de l’Homme, petite feuille éphémère[36] : « Les communistes de toutes nuances comprennent parfaitement que la réalisation de leurs théories ne doit point être l’œuvre de la violence ni de l’autorité ; c’est de la persuasion et de la libre association qu’ils l’attendent. »

La vraie, la seule solution au problème social, c’est l’association des travailleurs : ce que R. Gossez a très justement désigné comme la revendication et la réalisation de « la Liberté des Ouvriers ». Le but, c'est « l’affranchissement de la tyrannie du capital », la fin de la « servitude qui nous accable ». »L’ouvrier entré dans une association n’est plus l’ancien serf du capital, inquiet en présence du maître qui dispose de sa vie avec sa tâche; c’est un homme libre dont le regard ne rencontre, en parcourant l’atelier, que des égaux, des frères, ayant les mêmes espérances que lui, les mêmes droits et les mêmes devoirs. »[37] En juin 1848, les « citoyens du poste de la mairie du VIIIe arrondissement », représentant les combattants des barricades du Faubourg Saint-Antoine, réclament « une République démocratique et sociale : l’association libre du travail, aidée par l’État ... ». « Les prolétaires de nos jours veulent être associés, comme jadis les pauvres et les esclaves de l’empire romain voulaient être chrétiens. Ce mot magique d’Association, symbole d’une vie nouvelle, est le premier du Credo populaire. »[38] La revendication court jusqu’en 1851, où elle sera brutalement étouffée. "

Février accompli, on a procédé à l’élection par tous les corps de métiers d'une Commission des travailleurs, la commission du Luxembourg, qui forme ensuite le Comité central des Ouvriers du département de la Seine. Y siègent  les plus en vue des communistes de La Fraternité, Mallarmet, Savary, Pierre Vinçard. Les ateliéristes restent sur la touche, dans une prudente expectative ; ils observent et critiquent.

Le moyen évident de l’émancipation ouvrière, c’est de « constituer la corporation libre et démocratique comme régime absolu et définitif de tous les travailleurs », selon la formule du délégué des mécaniciens Victor Chipron. Corporation, le vieux mot fait frémir les libéraux qui y voient un « retour au Moyen Age », et il se peut qu’il ait en effet, parfois, dans certaines corporations, un aspect tant soit peu passéiste.

« Lorsque les corporations subsistaient, elles étaient des puissances capables de protéger chaque travailleur contre l’oppression des détenteurs de capitaux, aussi tant qu’elles ont existé, le prix du travail s’est-il maintenu et l’ouvrier recevait à la fin de la journée un salaire suffisant pour le soutenir, lui et sa famille. [...] Là, comme en beaucoup de choses, 89 ne sut que détruire. Au lieu de supprimer les abus et de réorganiser la corporation sur de nouvelles bases, la Révolution fit table rase de toutes ces constitutions, et croyant avoir tout fait parce qu’elle avait proclamé la liberté, elle créa l’isolement, la faiblesse, et par suite l’asservissement des travailleurs parce qu’une fois le lien corporatif détruit, l’ouvrier ne trouvant plus d’appui tomba à la merci de celui qui voulut employer ses bras, et le prix du salaire diminua de plus en plus. Instruits par l’expérience, les travailleurs sentirent bientôt la nécessité de reformer le lien corporatif, seul capable de leur rendre une force qu’ils n’avaient plus individuellement. »[39]

En réalité, la corporation nouvelle, qui repose sur l’identité de métier entre individus libres, sera fondée sur le principe de l’élection : on est au temps désormais du suffrage universel. Elle est un « corps constitué qui n’agit que par ses représentants ». Les ouvriers veulent « n’avoir pour chefs que ceux qu’ils auraient élus » et leurs délégués sont révocables. « Il n'appartient qu’à ceux qui s’associent de régler les conditions de leur société ». Ce que Pierre Leroux nomme fort bien alors : « des corporations organisées en vue de la République sur le type républicain ». Car il n’est pas question pour les ouvriers de Paris de faire fi de leur jalouse indépendance. Liberté, égalité, autonomie, autorité doivent s’équilibrer. Comme l’écrit un travailleur anonyme : « Une révolution a ramené en France la forme républicaine. Nous avons conquis le droit d’organiser des associations entre travailleurs. Si des travailleurs qui sentent leur dignité se connaissent, qu’ils se réunissent. [...] Si nous devons chercher l’indépendance, nous devons aussi parvenir à la fraternité. Il doit y avoir harmonie entre le principe d’égalité et le principe d’autorité. Retirez l’un de ces termes, et vous n’aurez qu’anarchie et exploitation. »[40] Et le député ouvrier Gilland paraît bien exprimer le sentiment général : « Je n’ai jamais demandé que le pauvre ne travaillât plus ; j’ai demandé qu’il pût vivre en travaillant. Je n’ai pas désiré que le riche fût dépossédé ; j’ai voulu que le travailleur fût affranchi de la servitude par la propriété des instruments de travail, par l’association libre et volontaire effectuée sans violence. »[41] Et la république démocratique n’est pas seulement le moyen d’établir la communauté, elle est déjà le commencement de la réalisation de cet idéal.

Associer « corporativement » les membres d'une profession entière, n’est-ce pas risquer d'entrer dans une autre servitude, celle du « communisme », comme ne manquent pas de le proclamer à cor et à cri les libéraux ? Les délégués des corporations au Luxembourg, particulièrement les ouvriers de La Fraternité, sont proches en effet des conceptions étatistes de Louis Blanc. Mais de vifs débats s'élèvent immédiatement  sur le rôle que doit tenir l’État dans la réalisation de l’émancipation des travailleurs.Rémi Gossez décrit fort bien la conception ouvrière, au fond ambiguë, de l’organisation, « partagée entre son autonomie et son étatisation ». Bien qu’affirmant son respect de la nécessaire liberté de chaque travailleur, (« Que le peuple veuille l’association, mais qu’il la veuille avec autant d’énergie et de persévérance qu’il a voulu la liberté »), les délégués ne conçoivent l’union qu’entre corporations. De ce fait, il y a risque réel que la corporation organisée devienne en somme « totalitaire », et plus encore la fédération nécessaire des corporations entre elles.

La maladroite aventure du 15 mai 1848 entraîne la suppression de la Commission du Luxembourg et rend caducs les projets d’associations corporatives, obligeant les travailleurs à se replier sur des projets moins ambitieux d’associations professionnelles limitées, « partielles ». Les délégués du Luxembourg ont conservé une Commission permanente pour en coordonner le développement et tentent de constituer une « Chambre syndicale du Travail ». Mais les travailleurs déjà associés sont tout de suite, méfiants à l’égard de ce centre aux pouvoirs qu’ils jugent excessifs. Ils entendent “ exercer leurs droits sans intermédiaires ”, non se soumettre à une quelconque “ usurpation hiérarchique". L’affaire échoue. “ Il fallait que cette pensée d’union s’alliât avec la liberté de chacune des associations, [...] une représentation véritable des travailleurs associés. ”[42]

Proudhon lance alors son projet de Banque du Peuple, qui vise aussi à solidariser les associations libres par l’organisation d’un crédit mutuel gratuit. Ce sont cette fois les délégués du Luxembourg qui jugent son projet trop « libéral » puisqu'il prévoit la concurrence entre les associations. Les disciples de Louis. Blanc ne peuvent s’entendre avec “ la théorie d’individualisme exclusif ” de Proudhon. Celui-ci est néanmoins appuyé par certains groupes corporatifs : l’Association fraternelle et égalitaire des Chapeliers se range à ses côtés, repoussant le « principe d’autorité » du Luxembourg.

Une « Mutualité des travailleurs » tente sans résultat de continuer la Banque du Peuple. Pauline Roland a très bien souligné les défauts des premières tentatives de fédération. « La première et la seconde (Chambre du Travail et Mutualité) se présentant avec un état-major, dont les ouvriers s’effarouchèrent, ils choisirent eux-mêmes, entre eux, la commission provisoire qui devait poser les bases de la troisième », (une tentative de « Solidarité ouvrière » qui ne voit pas le jour). Le refus des « systèmes », l’ouvrier dessinateur Bottiau (pourtant ancien saint-simonien) l’exprime clairement. “ Vous savez qu'après avoir applaudi au Luxembourg, les délégués conviennent, lorsqu'ils sont dans nos rangs, que le système d'organisation qu'on leur enseigne ne leur conviendrait pas, parce que, avant tout ils veulent être libres. ”[43]

Seule finalement l’Union des Associations ouvrières projetée par Jeanne Deroin et par l’architecte Delbrouck va presque rencontrer le succès. On quitte le terrain des querelles doctrinales pour envisager des réalisations pratiques, avec des hommes du tas, en cherchant un juste équilibre entre base et sommet, entre libres associations particulières et centre directeur. La liberté des travailleurs est toujours le but. « Ce n’est pas seulement les libertés politiques que le peuple veut conquérir ; il ne les réclame qu’afin d’acquérir la vraie liberté, c’est-à-dire le complet développement et le libre exercice de toutes les facultés humaines, le bien-être pour tous au moyen d’une équitable répartition des instruments et du produit du travail. » [44] Mais cette liberté doit aussi se pratiquer dans l’immédiat. L’Association fraternelle et solidaire de toutes les associations « assure à tous l’égalité en assurant à tous les travailleurs sans distinction de sexe, le droit, les moyens de vivre du produit de leur travail, [...] à tous le droit de vivre le vie complète, morale, intellectuelle et physique. [...]  Elle assure à tous la liberté, c’est-à-dire le droit et le pouvoir de développer et d’exercer librement et harmonieusement toutes ses facultés [...] par le concours égal de tous, sans distinction de sexe ni de profession, à l’administration des produits du travail et à l’élaboration des règlements qui régissent les Associations réunies. » [45] On sait que tout s’acheva par l’arrestation et le procès des promoteurs en juillet 1850. L’équipe du journal la Presse du Travail, qui fit une ultime tentative en 1851 pour réunir en faisceau les efforts ouvriers dispersés, abondait encore dans le même sens. « Fondée sur l’élection, toutes les professions, toutes les capacités ont accès chez elle et y trouvent une garantie contre toute domination personnelle. » Revenant sur les expériences passées, La Presse d’Émile de Girardin, écho alors des revendications ouvrières, souligne, comme avait fait Pauline Roland que « les centres eussent dû être conçus pour remplir leur mission comme des conseils et non comme des pouvoirs. » [46] Il ne doit y avoir en haut qu’un conseil qui soit un arbitre. E réaliser le vœu candide de Pierre Leroux : « la véritable société humaine, celle qui solidarise tous les hommes en les rendant libres » ?[47]

On laissera sur ce point le dernier  mot à L’Atelier, dans son numéro testament de juillet 1850. [48]contrat purement volontaire entre ouvriers ” Ce qui doit l’inspirer, “ c’est évidemment l’amour de la liberté ; l’affranchissement de plus en plus complet de l’individu à l’égard de toute espèce de tutelle ; le développement de la personnalité humaine s’opérant, sous l’influence de la liberté, par une responsabilité correspondante.  “ Comment s’y prendre ? ” Il n’est d’abord que de “ donner à l’individu beaucoup de liberté, et puis de le rendre envers lui-même responsable, de telle sorte que s’il ne veut pas travailler il ne mangera pas, et que comme il aura fait son lit il se couchera ; c’est de l’obliger à prévoir, pour lui est les siens ; c’est encore et surtout de développer par l’instruction sa puissance intellectuelle, qui est le premier et le plus puissant instrument de travail. ” Il y a un bienfait de la concurrence intellectuelle, et aussi bien de la concurrence économique : “ Nous préférons de beaucoup la lutte féconde à la paix stérile. ” Quant au rôle de l’État, outre “ l’encouragement moral ” qu’il peut prodiguer, son “ don le plus puissant serait sans contredit l’éducation et l’instruction, comme moyens d’augmenter la force morale et intellectuelle des masses ouvrières. ” Les ateliéristes ont alors cette phrase remarquable : “ La liberté n’est pas seulement un présent fait à l’individu, c’est aussi un fardeau qui lui est imposé. ” C’est la leçon que retiendront les ouvriers coopérateurs républicains de la génération suivante. Resté critiquement à l’écart des travaux du Luxembourg, il est intervenu activement quand il s’est agi de l’édification d’associations partielles dont il préfère la formule, et de leur libre union. Il a défendu constamment “ l’association dans le travail, [...]

 

Il n’y a guère lieu de s’attarder ici sur le débat à trois voix qui opposa Louis Blanc, Leroux et Proudhon en 1849-1850 sur la nature et le rôle de l’État : ce fut avant tout affaire de»  têtes pensantes ”. [49] Plus importante, promise en tout cas à quelque avenir, la réflexion qui se conduit au même moment, à un niveau moins retentissant, sur la décentralisation communale nécessaire. Rittinghausen publie La législation directe par le peuple, Considérant, La Solution ou le Gouvernement direct du Peuple. En octobre 1851, Renouvier, Fauvety, les communistes Charassin et Benoît du Rhône (ces deux derniers avaient été des collaborateurs de La Fraternité) en systématisent l’idée dans un livre collectif, Gouvernement direct. Organisation communale et centrale de la République. Le débat qui paraît n’avoir pas été sans écho en bas.[50] C’est la reprise approfondie, réaliste, d’idées développées par les premiers communistes, tout spécialement par Dézamy. Si la Communauté est le mode naturel et parfait de l’association, cet idéal ne peut être réalisé que lorsque les groupes humains de 10.000 personnes environ habiteront chacun un palais communal. L’État politique fera place à une simple administration. Chaque commune jouira de son autonomie ; les Communes fédérées formeront la Nation, et les nations fédérées, l’Humanité. Là serait la vraie parade à tout excès possible de l’autorité politique et sociale centrale. Les communistes aussi étaient, on le voit,  soucieux de faire sa large place à la liberté.



[1] Le Voyage en Icarie ; Cabet publie son second Populaire à partir de mars 1841. Louis Blanc, L’Organisation du travail. Proudhon,P. Leroux, De l’Humanité, de son principe et de son avenir... Qu’est-ce que la propriété ? .

[2] Février 1839, La Ruche, de Vinçard aîné et des anciens saint-simoniens, journal des ouvriers rédigé et publié par eux-mêmes.L’Atelier, organe des ouvriers buchéziens. Mai 1841, La Fraternité avec Lahautière, Savary, Charassin, Benoît du Rhône, suivie après une interruption par la Fraternité de 1845, (janvier 1845 / février 1848), avec Pierre Vinçard, Savary, Adam, Mallarmet. Voir sur cette dernière le remarquable travail de N. Bouvier : « De la communauté à l’utopie républicaine ; La Fraternité, journal moral et politique, puis organe du communisme, Mémoire de maîtrise sous la direction de M. Riot-Sarcey, Paris VIII, 1996. Septembre 1840, 

[3] Atelier, octobre 1843.

[4] Atelier, mai 1841.Toute semblable est la critique des ouvriers communistes. Le libéralisme est « fils aîné du fédéralisme girondin. [...] (Il) pose en principe la souveraineté de la raison individuelle, et il part de ce principe antisocial et absurde pour établir la prééminence de la bourgeoisie sur les classes dites inférieures, pour inféoder l’immense majorité au bon plaisir et à l’omnipotence dictatoriale d’une caste privilégiée ; il part de l’individualisme pour aboutir à l’égoïsme et à l’exploitation de l’homme par l’homme. Laponneraye, L’Intelligence, mai 1838.

[5] Pecqueur montre que le saint-simonisme « escamote la liberté individuelle et la représentation du peuple, en faisant descendre d’en haut l’élection et l’investiture au profit d’une suprême théocratie et de capacités absorbantes. » À cela il oppose “ le principe de l’élection populaire, mixte ou combinée, pour tous les ordres et fonctions. [...] En d’autres termes, nous opposons la liberté. Le fouriérisme « sans le vouloir, aboutit à la licence et à l’anarchie, puisqu’il nie la légitimité d’un pouvoir coercitif, puisqu’il prétend se passer de toute contrainte. » « Avec l’associationnisme à la Fourier, il y aurait concurrence entre les sociétés de production libres, avec anarchie et gaspillage. [...] Vous aurez agrandi l’arène du gaspillage, multiplié les chances de la loterie, augmenté le nombre des grandes fortunes et des désastres colossaux. » Pecqueur y oppose « le principe d’autorité, d’unité d’action, légale ou obligatoire ; ce qu’il veut réaliser comme un fait, nous le voulons comme un droit. » Théorie nouvelle d’Économie sociale et politique, 1842, p. 352, et Des Intérêts du Commerce, de l’Industrie et de l’Agriculture, 1839, I, p. 428-430.

[6] Revue Encyclopédique, octobre 1833, « Cours d’économie politique fait à l’Athénée de  Marseille par M. Jules Leroux », publié une seconde fois dans la Revue Sociale, novembre 1845, cette fois sous le titre « Individualisme et Socialisme ». On sait que, de ce dilemme, Leroux ne parvient à sortir qu’en affirmant que « Liberté et autorité sont les deux pôles égaux de la science sociale », ce qui n’est possible que si l’on admet la nouvelle religion de l’humanité : « la société est un corps, mais c’est un corps mystique ». [...] « La vie consiste essentiellement dans la relation divine et nécessaire d’être individuels et libres. »

[7] Nadaud pourtant, dans les années 1840 est un fidèle adepte du communisme icarien.

[8]  Mémoires de Léonard, ancien garçon maçon, Paris, Hachette (Maurice Agulhon éd.), 1976, p. 309 et p. 341.

[9] Ce n’est plus qu’une idée de proscrits. Pour la Société démocratique française à Londres, « Comme la grande majorité du peuple pourrait se tromper dans le choix des hommes qu’elle croirait dignes d’être appelés au pouvoir, et, par là, porter un grave préjudice à la Révolution, les Républicains, les auteurs de l’insurrection devront prendre l’initiative à ce sujet, en proclamant immédiatement comme directeurs de la nation les hommes qu’ils sauront être les plus capables... » Ou bien pour la petite secte des Travailleurs égalitaires : « La communauté, c’est la véritable république. [...] Nous voulons une dictature après la révolution, pour appliquer nos principes et briser toutes les aristocraties, et par conséquent renverser de fond en comble tout ce qui reste d’impur. » Textes reproduits dans G. et H. Bourgin, Le Socialisme, 1912.

[10] Atelier, mai 1841. Ils critiquent vertement le fouriérisme : « Des gens de mauvaise foi ont fait de ce mot, comme de tous ceux qui expriment un sentiment louable, un abus très pernicieux. La liberté a souvent, en effet, servi à déguiser des passions antisociales, des désirs d’indépendance absolue à l’égard de toute règle et de tout devoir. » Ou encore, décembre 1844, « Il y a malheureusement encore bon nombre de gens, même des partis prétendus socialistes, qui sont impatients de tout frein, et ne veulent être libres que pour se livrer sans contrainte à leurs passions. »

[11] Buchez refuse « le dogme » de la liberté individuelle. « L’homme considéré individuellement n’a de valeur que par le but qui l’anime. » « Il n’y a de société que là où il existe un but commun d’activité, qui rallie tous les hommes dans un même désir, un même système et un même acte. » L’Européen, février 1836 et passim.

[12] Atelier, juillet 1842, et mai 1841.

[13] Voyage en Icarie, p. 404. « Il faut de toute nécessité que la Société concentre, dispose et dirige tout ; il faut qu’elle soumette toutes les volontés et toues les actions à sa règle, à son ordre et à sa discipline. », p. 403. « Maîtresse de tout, centralisant, réduisant  tout à l’unité ; raisonnant, combinant, dirigeant tout, elle peut mieux et peut seule obtenir cet inappréciable et incommensurable avantage d’éviter les doubles emplois et les pertes, de réaliser complètement l’économie, d’utiliser toute la puissance de l’intelligence humaine, d’augmenter indéfiniment la puissance de l’industrie, de multiplier les productions et les richesses, de développer sans cesse la perfectibilité de l’homme, et de reculer continuellement les limites de son bonheur en reculant toujours les bornes de sa perfection », p. 398. Certes, la Société, « c’est le Peuple tout entier qui fait ses lois, même ses mœurs, ses usages, son opinion publique ; et ces lois, toujours consenties et voulues, sont toujours exécutées avec plaisir et même avec un sentiment de fierté », p. 405.

[14] J.-J. Pillot, Ni châteaux ni Chaumières, Paris, aux éditions de la Tribune, 1840.

[15] Fraternité, août 1841, article de Lahautière.

[16] Almanach de la Communauté, 1843.

[17] 1839, Tribune du peuple.

[18] Le Jésuitisme vaincu et anéanti par le Socialisme, 1845.

[19] M. Lamennais réfuté par lui-même, 1841, p. 70.

[20] Atelier, avril 1841. D’où la nécessité de la lutte pour la réforme électorale, pour laquelle en 1840-1841 tous font campagne, y compris les communistes les plus obstinés.

[21] Atelier, mai 1841

[22] « Détestant également les dangers de la royauté absolue et les dangers d’une indépendance sans limites, ce parti a imaginé de diviser l’autorité entre tous les membres de la société, dans le but unique de faire surveiller les uns par les autres tous les citoyens. On a fait une théorie, basée sur la défiance, selon laquelle les individus seraient classés par ordre méthodique, de manière que tout soit rigoureusement réglé par la loi, le temps de travail et celui du repos, la portion de peine et la portion de jouissance de chacun ; et tel est le sentiment de haine contre la liberté dont cette théorie est empreinte, qu’il ne serait permis à personne de faire plus ni moins. En un mot, c’est le despotisme de tous substitué au despotisme d’un seul. »

[23] Atelier, Janvier 1845.

[24] Atelier, mars 1847.

[25] Savary, Fraternité, septembre 1841 Répondant aux critiques de L’Atelier, Les rédacteurs de La Fraternité insistent : « Pour nous, fondateurs de la Fraternité, comme pour la grande masse de nos coreligionnaires, nous le déclarons hautement, la théorie communiste n’est pas une loi uniquement économique, elle est encore et surtout une conception morale : nos efforts, avant tout, tendent à faire prévaloir le principe de fraternité, bien convaincus que l’ordre matériel dépend intimement d’une loi morale qui seule peut donner les solutions dont se préoccupe si vivement notre époque. » Fraternité, janvier 1846.

[26] Fraternité, avril 1845.

[27] Fraternité, octobre 1842.

[28] Fraternité, septembre 1841.

[29] Fraternité, mars 1842.

[30] Fraternité, août 1845. « Comment serait-elle (l’autorité sociale) oppressive et tyrannique, n’étant autre que l’expression même de la volonté publique statuant pour le bien commun ? »

[31] Fraternité, septembre 1841, article de Savary.

[32] Audiganne, Les Populations Ouvrières de la France, Paris, Capelle, 2è édition 1860, t. II, 285.

[33] Corbon, écrivant sous l’Empire dictatorial Le Secret du Peuple de Paris, nuance sensiblement son propos ; « Je sais bien que quelques groupes de socialistes mettaient (en 1848) l'égalité au-dessus de la liberté; mais le peuple n'est pas responsable de leurs divagations. » Le Secret ..., Paris, Pagnerre, 1863, p. 227.

[34] « Il y a chez lui un je ne sais quel amour du mot liberté poussé vraiment jusqu’à l’exaltation, à la folie ! - Ce mot liberté implanté dans son esprit, depuis 89 par une puissance mystérieuse et surhumaine, y trône avec la tyrannie de l’idée fixe. - Il préfère subir les chômages, la misère, la faim [...] plutôt que de perdre ce qu’il nomme sa liberté. Il repousse, sans même vouloir examiner, le droit au travail parce qu’il voit dans la réalisation de ce droit une espèce d’enrégimentation. Il n’en veut donc point et le repousse avec horreur. Plutôt mourir de faim, s’écrie-t-il, mais du moins mourir libre. » L’Union Ouvrière, p. IX. Il est vrai que parfois, cette bourgeoise philanthrope prend ses désirs pour des réalités.

[35] Pour reprendre le terme de J.-P. Hirsch, Les Deux rêves du Commerce, Éditions de L’EHSS, 1991; liberté et protection en économie sont tout aussi bien, théoriquement du moins, difficilement conciliables.

[36] Trois numéros du 2 au 9 mars 1848, avec pour devise ; Liberté, Égalité, Fraternité, association, alliance des peuples.

[37] Rochery, Almanach des Corporations nouvelles pour 1852, 15 octobre 1851.

[38] Almanach des Corporations nouvelles.

[39] Laugrand, « Aux associations ouvrières », Almanach des Corporations Nouvelles.

[40] Manuel des Associations ouvrières, 1850.

[41]  Notice biographique sur J.-P. Gilland, représentant du Peuple, Paris, août 1850. C’est moi qui souligne.

[42] Auguste Desmoulins, Revue Sociale, février 1850.

[43]  Sur tous ces points et ceux qui suivent, R. Gossez, op. cit.

[44] Lettre aux associations sur l’organisation du crédit, 1851.

[45] L’Opinion des Femmes, n° 6, août 1849.

[46] Almanach des Corporations nouvelles.

[47] Toast à Etienne Dolet lors du banquet typographique du 16 septembre 1849.

[48] Incapable de payer le cautionnement désormais exigé, le journal doit suspendre sa publication. Ces thèmes seront repris sous l’Empire par Corbon dans Le Secret du Peuple de Paris.

,[49] Il a été très clairement et suffisamment présenté par A. Le Bras-Chopard, « Proudhon, Louis Blanc et Pierre Leroux : Polémique sur la question de l’État », 1848, Révolutions et Mutations au XIXe siècle, 1993, p. 45-56. Proudhon place finalement la souveraineté dans l’Individu. « L’anarchie est la condition d’existence des sociétés adultes, comme la hiérarchie est la condition des sociétés primitives. » Pour Leroux, Proudhon n’est qu’un « libéral déguisé. »[...] « Si vous faites lutter toutes ces libertés les unes contre les autres sans contrat, sans convention, sans organisation, au nom de la Liberté seule, au nom de l’égoïsme, au nom de la concurrence, au nom du laissez-faire, au nom du chacun pour soi, vous n’avez plus de libertés, vous n’avez que l’écrasement du plus grand nombre de créatures de Dieu [...] par un petit nombre de libertés. [...] Vous commencez par la liberté, mais à la conclusion, vous avez la tyrannie. » Louis Blanc continue de prôner la force nécessaire de l’état : « L’être collectif réalisé, c’est précisément l’État. » « Lorsque, dans une société organisée, la force organisée n’est nulle part, le despotisme est partout. »

[50] « Au premier rang la question du gouvernement direct qui [...] fait des progrès dans les ateliers. Cette question m'occupe personnellement au plus haut point, et je ne suis contente ni de Rittinghausen, ni de Considérant, ni de Louis Blanc, bien moins encore de Ledru-Rollin, Girardin [...] qui n'y voient qu'une réclame électorale. Je mets à part les travaux de la Feuille du peuple et par conséquent la brochure de Renouvier et Fauvety publiée [...] sous le titre gouvernement direct; organisation communale et centrale de la république. Lisez cela et faites la lire à nos amis. Ce n'est pas parmi les bourgeois qu'il importe le plus de répandre la vérité, mais parmi nous autres prolétaires, en qui réside la force » Lettre autographe de Pauline Roland à Tremblay, 23 mai 1851. Texte communiqué par M. Riot-Sarcey, in Le réel de l’Utopie, ouvrage à paraître chez Albin Michel.


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