Les élections de 1869 à Belleville

 

 

Les élections de 1869 à Belleville


Les élections de 1869. Etudes présentées par Louis Girard, 1960.

« Rome n'est plus dans Rome, et ce terrible Faubourg Saint-Antoine d'où partait jadis le signal des « journées » a donné sa démission en faveur de Belleville et de La Villette...   »

On ne pouvait mieux décrire que ne fait, à la veille de la Commune, G. de Molinari le très net déplacement du centre de gravité du Paris révolutionnaire de 1848 à 1871 (1). C'est à Belleville désormais, non plus au cœur du vieux Paris ouvrier (2) que mûrissent les révolutions, la Commune y trouvera ses plus énergiques défenseurs; au Père-Lachaise viendront aussi mourir les derniers Fédérés. En mai 1869 déjà, pour ces élections qui sonnent comme le premier glas de l'Empire, c'est devant les habitants de ce quartier populaire et frondeur que Gambetta a choisi de défendre son programme d'opposition irréconciliable. Belleville l'élit d'enthousiasme. Dans Paris donc, où l'Empire reçoit ses coups les plus durs, Belleville apparaît comme un lieu d'observation privilégié, où se détachent en parfaite lumière certains éléments d'explication ailleurs atténués ou noyés parmi d'autres. Davantage encore que politiques, les élections de 1869 y sont en effet « sociales », en ce sens que la classe laborieuse y prend nettement, « irréconciliablement » position contre un régime qui, depuis ses origines, aimait à laisser croire qu'il tendait au monde ouvrier une main conciliante.

Dans la langue parisienne (et bellevilloise) d'alors, Belleville est tout d'abord un ensemble géographique beaucoup plus vaste que le seul quartier dit de Belleville : grossièrement identique à la commune d'avant l'annexion, qui, dépecée en 1860 (entre le XIXe et le XXe arrondissement), garde à l'état virtuel ses limites anciennes, incluant par conséquent la presque totalité de Combat (quartier du XIXe arr.), de Père-Lachaise (XXe), la moitié Nord de Saint-Fargeau (XXe) et la moitié Sud d'Amérique (XIXe). Ces quartiers authentiquement « bellevillois », où d'ailleurs les résultats électoraux ont sensiblement même allure, dont les structures sociales et professionnelles sont aussi très proches, forment en 1869 le cœur, le centre de gravité de la première circonscription électorale de la capitale (3). Celle-ci comprenant encore les deux autres quartiers du XIXe arrondissement (La Villette et Pont-de-Flandres), l'ensemble du XVIIIe arrondissement, et, tout à l'Ouest, le quartier des Epinettes (XVIIe arrondissement), cette étude a été étendue à d'autres quartiers : seule la comparaison des attitudes électorales diverses de quartiers socialement ou professionnellement divers permet en effet d'isoler, par ressemblance ou différence, les principaux éléments d'explication des votes. Nous chercherons sans doute des comparaisons dans les quartiers déjà sensiblement différenciés du « Grand Belleville » (ou encore dans les sections de vote qui forment ces quartiers). Mais bien davantage dans une confrontation des résultats à Belleville et dans les quartiers extérieurs ouvriers qui forment avec lui la première circonscription : plus particulièrement les quartiers de La Villette et de La Chapelle, où domine tout autant qu'à Belleville l'élément populaire, très différents cependant dans leur allure sociale comme dans leurs réactions électorales.

Les résultats

 

section

Gambetta

Rochefort

0 Epinettes

44,4%

46,2%

01 Clignancourt 1

53,8

44,9

02 Grandes Carrières

47,2

43,9

03 Grandes Carrières 1

56,7

50,5

04 Clignancourt 2

57,4

50

05 Clignancourt 3

57,2

52,3

06 Clignancourt 4

64,1

65,9

07 Goutte d'Or 1

58,2

55,9

08 Goutte d'Or 2

55,4

54,3

09 La Chapelle

55,4

55,2

10 La Villette 1

46,7

43,1

11 La Villette 2

53,8

50,2

12 Pont de Flandres

43,0

43,9

13 Combat 1

62,0

52,3

14 Combat 2

66,3

58,5

15 Amérique

54,3

42,8

16 Belleville 1

53,1

45,4

17 Belleville 2

72,1

61,2

18 Belleville 3

69,1

59,8

19 Saint-Fargeau

52,1

45,7

20 Père-Lachaise 1

64,2

63,4

21 Père-Lachaise 2

63,9

59,4

 

 

 C'est dans cette circonscription (soit tout le Nord et l'Est ouvriers de la capitale) que Gambetta, figure de proue, depuis le procès Baudin, de l'opposition radicale et irréconciliable à l'Empire, a choisi de tenter fortune politique : il y vient combattre dans son fief celui qu'il appelle « le vieux Sertorius », Hippolyte Carnot, député sortant, républicain très attiédi. Avec eux se portent encore Balagny, maire des Batignolles, Pasquet et Terme, candidats plus ou moins dynastiques, Henry, candidat « ouvrier » (il est en effet contremaître chez Martorel, plombier de la Ville de Paris). Mais la lutte se circonscrit rapidement entre les deux premiers adversaires : Gambetta est triomphalement élu par 21.744 voix sur 38.083 votants (4); dix-huit sections sur vingt-deux lui ont donné la majorité absolue : toutes les autres la majorité relative, sauf une, la douzième (Pont-de-Flandre), qui lui préfère Carnot par 350 voix contre 332. Contre lui Carnot seul a fait bonne ligure (11.604 voix), malgré sa défaite. Terme obtient 2.291 voix, Balagny 1.637, Pasquet 365, et Henry le chiffre dérisoire de 47, les électeurs ayant jugé sa candidature « sympathique » mais inopportune. Nous négligerons dans cette étude les candidatures autres que celles des deux « leaders ».

En mai 1869, par conséquent, Belleville et toute la ceinture ouvrière de la capitale optent radicalement contre l'Empire. Quelques mois plus tard, en novembre, Gambetta ayant choisi d'occuper le siège que lui offrent aux mêmes élections les habitants de Marseille un second tour de scrutin confirme s'il est besoin ce résultat. Rochefort, qui défend la cause d'une opposition plus rouge encore que celle de Gambetta, l'emporte sur le même Carnot, quoique avec un peu moins d'éclat. Il obtient 17.978 voix contre 13.445 à Carnot (il n'a la majorité absolue que dans quatorze sections, cinq sections ont donné la majorité relative à Carnot).

Se différencient dans l'ensemble de la circonscription deux groupes de  quartiers : — ceux qui (toutes proportions conservées, car parfois Gambetta y a encore la majorité absolue) peuvent être appelés pâles : soit les Epinettes, le Nord du XIXe arrondissement (quartiers de La Villette, et surtout sa section Nord — de Pont-de-Flandre, où Carnot l'emporte aux deux tours — Amérique où il l'emporte au scrutin de novembre seulement) — les quartiers ronges : soit le XVIIIe arrondissement (à l'exception cependant de la 3e section : Sud du quartier des Grandes-Carrières où Gambetta n'a qu'une majorité relative et où au second tour Carnot l'emporte sur Rochefort) mais surtout les quartiers Bellevillois. Ce sont ces derniers qui procurent aux candidats radicaux les meilleures de leurs voix. La participation électorale déjà y apparaît la plus forte : 85 à 87 % des inscrits ont voté (Combat est une exception avec 75 % seulement) : ne faut-il pas y voir la preuve d'un intérêt plus soutenu qu'ailleurs pour le vote ? C'est également à Belleville que Gambetta puis Rochefort s'assurent leurs plus confortables majorités : de 60 à 65 % des voix pour Gambetta dans les trois quartiers de Belleville, Père-Lachaise et Combat. On peut toutefois remarquer un assez vif fléchissement des majorités radicales dans l'Est du Grand Belleville, bien localisé dans Saint-Fargeau et dans Amérique (Gambetta, 52 et 54 % des voix). Et ceci se précise au niveau des sections de vote. La majorité radicale est sans nuance, ou presque, dans Père-Lachaise (où la 20° et la 21e sections donnent un pourcentage de voix tout à fait analogue à Gambetta : (64,2 et 63,9 %) — dans Combat (13e section : 61,9 % — 14e section : 66,3 %) ; à Belleville au contraire les votes sont plus irréguliers — tandis que les sections du Nord-Ouest (17e) et du Sud-Ouest (18e) donnent à Gambetta 72,1 et 69,1 % de leurs voix (ce sont les pourcentages les plus forts de toute la circonscription), Belleville-Est (16e section) se montre sensiblement plus réticent, rejoignant en cela Saint-Fargeau et Amérique : Gambetta 53,1 % des voix (contre 30,3 % à Carnot), Rochefort 45,3 % (Carnot 41,9 %). C'est en somme dans l'Ouest du Grand Belleville (par conséquent aux limites du vieux Paris), qu'il semble qu'on doive situer le principal noyau radical et révolutionnaire.

Cette localisation des voix achevées, de brefs commentaires vont permettre de circonscrire les problèmes. L'opposition des quartiers « tièdes » et des quartiers « radicaux » peut aisément s'expliquer si l'on jette un premier et rapide coup d'œil à la composition des listes électorales; les premiers sont presque toujours ceux où l'on compte les plus forts pourcentages d'électeurs non ouvriers ou petits-bourgeois (agriculteurs, propriétaires-rentiers : 7,6 % dans Amérique, 6,1 % à Saint-Fargeau; employés: 18,6 % dans Pont-de-Flandre, 11,4 % à La Villette; inversement, les seconds comptent le plus d'électeurs vivant de métiers industriels : non compris les « journaliers » 70,3 % au Père-Lachaise, 66,6 % à Belleville, 56,3 % à Combat. De même, l'Ouest du quartier proprement dit de Belleville semble peuplé presque exclusivement d'ouvriers, qui ont rejeté vers l'Est et en périphérie (dans les rues de Puebla, de Calais, Levert, Ramponneau, Est de la rue de Belleville) agriculteurs et très petits-bourgeois, autrefois, dit-on, maîtres de la Commune.

D'autres problèmes toutefois se posent :

a) dans certains cas, cette première explication — schématique — peut apparaître insuffisante : La Villette, autant que l'examen de la liste électorale permet d'en juger, a une structure sociale assez proche de celle de La Chapelle, qui lui est d'ailleurs contigu : mêmes proportions d'employés (11 %), de petits rentiers, de membres des professions libérales; et cependant il vote plus pâle. Saint-Fargeau compte plus d'électeurs « industriels » (55 %) que le même La Chapelle (53,6 %) et vote plus tiède encore.

Au second tour de scrutin, Rochefort, plus rouge, fait assurément plus peur que Gambetta ; il effraie une notable frange d'électeurs gambettistes qui paraissent se rallier à Carnot (lequel gagne près de 2.000 voix sur le premier tour). Mais son recul par rapport à Gambetta — qui va, dans le quartier d'Amérique, jusqu'à un renversement de majorité — est très inégalement prononcé selon les cas : dans les sections « bellevilloises » il est de près de 10 % à La Villette, dans le XVIIIe arrondissement, de 2 à 3 % seulement à La Chapelle, dans Pont-de-Flandre, il  est pratiquement nul.

Cependant, avant toute explication, doit être précisée la signification politique et sociale de l'élection dans la classe laborieuse, en étudiant, plus particulièrement à Belleville, ce que fut la campagne électorale.

La campagne électorale

Campagne retentissante s'il en fut, et à laquelle Gambetta a voulu donner un tour original (5) :

« Je ne vous ferai ni programme ni profession de foi, déclare-t-il dans son premier discours électoral. Les Comités de votre circonscription doivent m'adresser leur programme et je dois y répondre. Nous contracterons ainsi publiquement sous l'œil de tous (6) ».

Et voici la réponse des électeurs, un cahier de doléances :

« En 1789 nos pères dressèrent la liste de leurs griefs légitimes, et ce fut de ces cahiers populaires que sortit plus tard le premier programme de notre immortelle révolution. À l'exemple de cette sublime époque, nous avons publié les nôtres : nous avons voulu affirmer une fois de plus ces grands principes qui ont jadis placé la Fiance à la tête des nations... D'un commun accord nous demandons la restitution des libertés publiques qui nous permettront d'établir la solidarité des citoyens... (7) ».

Ce « cahier » d'un nouveau genre, que Gambetta accepte d'enthousiasme (« Je fais plus que consentir. Voici mon serment : Je jure obéissance au présent contrat et fidélité au peuple souverain ») c'est ce que l'histoire ne connaît plus que sous le nom de « Programme de Belleville ». Le Peuple, nous dit-on, l'a rédigé dans ses comices électoraux, spontanément, librement, et Gambetta accepte cette manière de « mandat impératif »; peu nous importe que, sans nul doute, des éléments extérieurs, politiciens radicaux sûrement, aient puissamment inspiré ou contrôlé cette spontanéité. L'idée seule de ce dialogue est déjà révolutionnaire et inquiète fort les « bonzes » républicains (8). Même « contrôlés » en tout cas, les Comités populaires de discussion ont joué un rôle réel; Comités où d'ailleurs on voit paraître, aux côtés de petits-bourgeois, d'employés, de commerçants, quelques-uns des plus populaires meneurs de la Commune : Trinquet, Napoléon Gaillard (le futur grand barricadier de 1871) — tous deux cordonniers — à Belleville ; Dereure, Chassin, Josselin, Sabourdy — deux cordonniers encore (9) — dans le XVIIIe arrondissement; quelques intellectuels comme Vermorel, Lissagaray, Jules Vallès... Le peuple de Belleville fait sien le Programme et de Gambetta son champion.

Que demande, qu'exige ce programme populaire ? (10)

« Au nom du suffrage universel, base de toute organisation politique et sociale, donnons mandat à notre député d'affirmer les principes de la démocratie radicale et de revendiquer énergiquement :

- l'application la plus radicale du suffrage universel, tant pour l'élection des maires et conseillers municipaux, sans distinction de localité, que pour l'élection des députés...

- la liberté individuelle désormais placée sous l'égide des lois et non soumise au bon plaisir et à l'arbitraire administratifs...

- la responsabilité directe de tous les fonctionnaires...

- les délits politiques de tout ordre déférés au jury...

- la liberté de la presse dans toute sa plénitude, débarrassée du timbre et du cautionnement...

- la suppression des brevets d'imprimerie et de librairie...

- la liberté de réunion sans entrave et sans pièges...

- l'abrogation de l'article 291 du Code Pénal... - la liberté d'association pleine et entière...

- la suppression du budget des cultes et la séparation des Eglises et de l'Etat...

- l'instruction primaire laïque, gratuite et obligatoire, avec concours entre les intelligences d'élite pour l'admission aux. cours supérieurs, également gratuits...

- la suppression des octrois, la suppression des gros traitements et des cumuls, et la modification de notre système d'impôts...

- la nomination de tous les fonctionnaires publics par l'élection.

- la suppression des armées permanentes, cause de ruine pour les finances et les affaires de la Nation, source de haine entre les peuples et de défiance à l'intérieur... ».

 

Au premier regard, il s'agit d'un programme essentiellement politique, « radicalement » politique. Peu de revendications proprement sociales, rejetées à la fin et très vaguement formulées :

- l'abolition des privilèges et monopoles, que nous définissons par ces mots, « Prime à l'Oisiveté » ;

- les réformes économiques, qui touchent au problème social, dont la solution, quoique subordonnée à la transformation politique, doit être constamment étudiée et recherchée au nom du principe de justice et d'égalité sociale. Ce principe généralisé et appliqué peut seul, en effet, faire disparaître l'antagonisme social et réaliser complètement notre formule : Liberté, Egalité, Fraternité ».

 

Transformations sociales subordonnées aux transformations politiques : assurément Gambetta, même en sa verdeur de 1869, n'a rien d'un socialiste et paraît avoir voulu infléchir dans ce sens purement politique les revendications populaires. Il affirme pour sa part le caractère finalement second des réformes sociales :

 

«  Comme vous je pense que le suffrage universel, une fois maître, suffirait à opérer toutes les destructions que réclame votre programme et à fonder toutes les libertés, toutes les institutions dont nous poursuivons l'avènement...

... Comme vous je pense qu'une démocratie régulière et loyale est, par excellence, le système politique qui réalise le plus promptement et le plus sûrement l'émancipation morale et matérielle du plus grand nombre et assure le mieux l'égalité sociale dans les lois, dans les faits et dans les mœurs.

Mais comme vous aussi, j'estime que la série progressive de ces réformes sociales dépend absolument du régime et de la réforme politique, et c'est pour moi un axiome en ces matières que la forme emporte et résout le fond... ».

 

Est-ce bien seulement sous l'influence modératrice de   Gambetta que ce programme reste limité à ses aspects purement ou premièrement politiques ? Il ne le semble pas. (11)

Revendications limitées, décevantes dans une élection qui nous apparaît aujourd'hui comme profondément « sociale ». Elles marquent la limite des progrès idéologiques accomplis par les ouvriers parisiens sous le Second Empire.

 

Pour se faire une idée du degré de conscience atteint par l'ouvrier bellevillois, on ne peut manquer de se reporter à la campagne de réunions socialistes qui depuis quelques mois se tiennent dans son quartier (12). On a vu y venir (et ils ont souvent aussi participé à la campagne électorale) quelques-uns des leaders ouvriers ou socialistes les plus écoutés : Tolain, combien effacé déjà — et les « savants professeurs de socialisme » que sont Millière, Vermorel, Briosne, Jaclard... « Sur dix ouvriers s'occupant d'autre chose que du boire et du manger, constate Molinari (13), neuf sont socialistes ou en train de le devenir... ». Les choses semblent moins nettes dans la réalité. Certes, l'ouvrier prend conscience qu'il est un opprimé :

« La bourgeoisie est l'ennemie la plus dangereuse de la classe ouvrière... Qui est-ce qui produit le capital ? C'est le peuple travailleur. Qui est-ce qui améliore et fait valoir la propriété ? C'est le peuple travailleur. Qui est-ce qui fait progresser ? toujours le peuple travailleur ! Pourquoi et comment se fait-il que le peuple travailleur ne possède rien. » (Bretonneau, aux Folies-Belleville).

« Dans l'organisation actuelle du travail, il y a deux sortes d'individus; les uns qui prélèvent les neuf dixièmes sur le travail, les autres qui prélèvent un dixième; les uns qui consomment sans travailler, les autres qui travaillent sans consommer... ». (Chauvière, même réunion). Il n'a pas pour autant claire conscience de la nature de cette oppression.

 

Comment, dans ces réunions populaires si ardentes désigne-t-on l'ennemi « de classe » ? En termes toujours indécis ; les « bourgeois », les « riches », les « propriétaires », le « Capital », quelquefois les « usiniers », ou bien « la haute pègre qui nous dévore le flanc comme un cancer, celle des monopoles » (de Beaumont). Quand on songe à exproprier les « riches » ou à abolir la propriété, c'est toujours, devant ce public industriel, ouvrier, de propriété terrienne qu'il s'agit : Chauvière continue ainsi :

« Ceux-ci ne possèdent rien, ceux-là possèdent la source de toutes les productions... la terre ! Nous naissons et déjà nous pouvons nous demander si la terre est faite pour tous ou pour quelques-uns ». Ducasse, communiste, parlant à Belleville le 9 janvier 1869 contre le salariat, réclame « une expropriation du sol pour cause d'utilité publique » — et de Beaumont : « La propriété est la principale cause de nos malheurs; c'est cela qu'il faut modifier... La terre a été donnée gratuitement à l'homme; celui qui s'en est emparé l'a dérobée à la collectivité. Il faut par tous les moyens la reprendre, car nul n'a droit d'avoir du surplus quand quelques-uns manquent du nécessaire ! » (Belleville, le 22 janvier 1869). Comme ailleurs, on discute mutuellisme, collectivisme, communisme, mais c'est pour le public phraséologie abstraite qu'obscurcissent encore les querelles d'école. Veut-on connaître l'atmosphère de ces réunions : Molinari, avec quelque partialité, mais non sans humour, nous fait pénétrer dans l'une d'entre elles aux Folies-Belleville en octobre 1869 :

« Dans les deux dernières séances de la réunion des Folies-Belleville, l'ordre du jour concernait les « Voies et moyens pratiques du socialisme ». Nous avions donc quelque espoir d'être éclairé sur l'état économique et social qu'il s'agit de substituer à la « vieille société » [...] Notre espoir a été déçu. Nous ne connaissons pas encore les institutions sociales qui doivent nous régénérer dans un avenir prochain... Tous les orateurs [...] étaient parfaitement d'accord sur la nécessité de démolir ce qui existe. Il n'y avait dissentiment que sur la question d'opportunité. Mais l'entente cessait dès qu'il s'agissait de reconstruction... M.Tolain s'est attaché à démontrer qu'il y a beaucoup de points communs entre le mutuellisme et le communisme... M. Briosne ne se paye pas des illusions de la gratuité du crédit et il demande que les ouvriers soient mis en possession de l'outillage de la production. Il ne veut du reste spolier personne, et il entend bien indemniser les propriétaires actuels de cet outillage, mais comment ? — un interrupteur lui crie d'une voix tonnante : il faut leur couper le cou ! — C'est une justice à rendre à M. Briosne qu'il a énergiquement protesté  contre ce procédé expéditif »  (14).

Nous croirions volontiers le propos tranchant de cet interrupteur plus caractéristique de l'ouvrier bellevillois que les divagations idéologiques précédentes. Sur tous les grands sujets, l'orateur fatigue rapidement son public.(15) Qu'il aborde en revanche (comme fait souvent Ducasse) la très concrète question des loyers, il soulève son auditoire — car, parmi les « riches », les « bourgeois », le bellevillois n'a pas d'ennemi plus tenacement haï que son propriétaire.

Certes l'étude d'une élection politique et des programmes électoraux n'est pas souvent révélatrice du niveau de conscience exact de l'électeur. Elle confirme en tout cas ce que nous savons des réunions de 1868-1869; on dirait que les importantes transformations économiques qui ont marqué Paris sous le Second Empire n'ont pas eu le temps de se répercuter encore dans la conscience sociale, ou du moins n'ont guère marqué Belleville.  Mais cela n'est vrai qu'en partie : si les revendications politiques dominent, il n'en faut pas atténuer la portée qui est aussi sociale. L'ennemi social, ce n'est pas tant le petit ou le moyen patron, trop proches des salariés qu'ils emploient, ce n'est pas davantage la ci haute pègre » des monopoleurs, trop lointain épouvantail et qui ne saurait guère intéresser directement l'ouvrier artisan de Belleville. C'est le gouvernement impérial, qui, dans ses formes à demi dictatoriales, incarne très clairement l'ordre social oppresseur — le gouvernement qui, en dépit de certaines apparences, a réservé toutes ses faveurs à la grande bourgeoisie, au détriment des petits, comme l'ouvrier peut en 1869 s'en rendre compte dans sa vie quotidienne. Le gouvernement, et plus concrètement les fonctionnaires de ce gouvernement : soit la trilogie unanimement détestée, du commissaire de police, qu'on voit maintenant de très près dans les réunions autorisées qu'il surveille, du soldat de métier, instrument constant de la répression depuis Décembre — et du prêtre leur allié (16). L'ouvrier radical, puis communard a d'abord trois thèmes de revendication : suppression de la Préfecture de Police (et en même temps élection de tous les fonctionnaires), suppression des armées permanentes, séparation de l'Eglise  et  de  l'Etat  (avec  l'instruction  laïque).  Gardons-nous  d'en affaiblir le sens : par exemple, la lutte contre les privilèges trop éclatants de l'Eglise est devenue chez l'ouvrier parisien lutte antireligieuse féroce; les excès de 1871 : profanation des autels, parodies de la messe, etc… ne sont pas tous des fables inventées par les amis de l'Ordre. La haine de la « robe noire » est maintenant haine sociale enracinée : « la religion, dit Moreau à Ménilmontant le 13 novembre 1869, n'est qu'un moyen d'abrutir les hommes pour les asservir complètement ». Et Gambetta, dans sa campagne, ne manque pas de jouer pour sa part d'une corde aussi sensible : « la prostitution, dit-il, ne peut être vaincue que par l'instruction purement laïque... Les filles élevées dans les établissements religieux sont ou des sottes dévouées aux mômeries de l'Eglise ou des prostituées... » (Boulevard de la Chapelle, le 15 mai 1869).

L'exigence de la République et des « libertés essentielles » n'est pas, chez le prolétaire bellevillois ou parisien, le « préalable démocratique » que voudrait Gambetta — ou du moins pas seulement cela. On doit y voir la critique du régime impérial bourgeois, bientôt la critique de tout état bourgeois. Les libertés populaires sont autre chose que les libertés bourgeoises de 89 : elles préfigurent cette (confuse) république communale que tenteront de bâtir les révolutionnaires de 1871. Aussi bien l'ouvrier bellevillois n'est-il pas libéral (d'où son prochain divorce d'avec Gambetta), mais révolutionnaire. Ses cadres sont nourris du souvenir de la grande révolution de 1793 (17). « Nous avons une seule chose en perspective, dit Paule Minck à Ménilmontant, le 28 novembre, c'est la transformation complète de l'état de choses existant... Tout l'espoir gît dans notre force et dans l'énergie dont nous sommes capables... ». Dans l'élection, c'est l'homme qui compte : Belleville choisit donc le candidat le plus extrême (18), Gambetta, qui séduit parce qu'il est irréconciliable, parce qu'il est l'homme du procès Baudin. Carnot, entend-on dire dans toutes les réunions est « trop mou », un « honnête homme mais cela ne suffit pas »; « CarNot est resté muet à la Chambre en face des attaques dirigées contre la Convention »; « Carnot est trop vieux » — et tout ceci se résume en « Carnot est le passé, Gambetta l'avenir ». Gambetta à son tour trahit et rejoint les amis de l'Ordre : candidat à Marseille, il s'est affirmé le champion d'une démocratie des affaires : «   qui  précisément   parce   qu'elle   est   radicale   n'en   est   que   plus dévouée à l'ordre, principe fondamental des sociétés et à la liberté, garantie indispensable aux mains de tous pour la protection, la dignité et les intérêts de chacun... Je tiens à prouver l'alliance intime de la politique radicale et des affaires...  (19).

De ce jour, sa popularité à Belleville est presque morte. L'irréconciliable réconcilié se fait huer dans les réunions publiques — et le truculent Napoléon Gaillard « qui a sur le cœur le Discours de la Canebière » refuse de s'asseoir à ses côtés à la tribune des Folies-Belleville. (20) Pour le second tour, on choisit avec plus de discernement un rouge tout à fait bon teint. Rochefort, « boute-en-train de la Révolution » et Milliers dégage le sens menaçant de ce choix :

« Carnot n'avait pas cru devoir avancer. Mais le peuple avait des aspirations nouvelles. C'est pourquoi l'élection de Gambetta s'est produite. Il faut encore aller plus loin. Si demain une élection était à faire et que Rochefort restât ce qu'il est aujourd'hui, eh bien ! peut-être aurions-nous recours à un nouveau député... Parce que ce que nous désirons, c'est la Révolution au profit du Peuple. » (21)

 

Tel apparaît en 1869 l'ouvrier de Belleville : radical, mais avant tout ardemment, « exagérément » révolutionnaire : on dit alors socialiste-révolutionnaire, mais en insistant bien davantage sur le second terme que sur le premier. Pas beaucoup plus évolué sur le plan social que son prédécesseur de 1848; seulement, sur le plan politique, ses idées se sont faites plus mûres et plus précises. Cette élection qui pour Gambetta est conquête d'un siège original et indépendant, elle est pour le Bellevillois la première épreuve de sa force. (22)

 

Le Mont-Aventin de la démocratie (23)

En somme, ce n'est, pas au sens idéologique qu'à Belleville, les élections de 1869 apparaissent comme profondément « sociales », mais par la clientèle électorale qu'y viennent chercher Gambetta puis Rochefort : une clientèle purement ouvrière, une clientèle de classe. (24)

Belleville, comme tous les quartiers extérieurs de Paris, est un quartier de peuplement et de développement récents, comme en témoigne sa rapide croissance depuis 1851. À cette date, l'ancienne commune compte 34.730 habitants en1856, 57.668 (+ 66 %) en 1861 on peut attribuer au Grand Belleville qui prolonge l'ancienne commune quelque 95.000 habitants (+ 63 %) en 1866, 110.000 (+ 15 %) en 1870, 128.000 (25). Le quartier proprement dit de Belleville passe de 28.314 habitants en 1861 à 34.321 en 1866 (+ 20 %) et 38.881 (+11 %) en 1870.

Cette population neuve est avant tout une population ouvrière homogène. Au recensement de 1872, 70,6% de la population civile du XXe arrondissement (qui  comprend  aussi  Charonne) vit d'activités industrielles; c'est la proportion la plus élevée que nous rencontrions dans Paris à cette date (26). Il s'agit dans une très large mesure de salariés industriels, ouvriers: 58,2 %, ou journaliers: 14,6 %; les classes dites « aisées » par le même recensement (patrons, propriétaires, rentiers, membres des professions libérales) forment seulement 20,79 % et les employés le chiffre minime de 5 % de la population civile (27). Au niveau des quartiers, ont été mentionnés plus haut les importants pourcentages d'électeurs que l'on pouvait considérer comme industriels ou ouvriers à Belleville (66,6 %), au Père-Lachaise (70,3 %), à Combat (56,3 %). Depuis 1851 n'a cessé de s'affirmer à Belleville la prééminence de l'élément ouvrier aux dépens d'une ancienne petite bourgeoisie venue chercher jadis au-delà des barrières villégiature ou tranquillité. En 1851, propriétaires et rentiers représentaient le pourcentage important de 12,0% de la population dite active — les membres des professions libérales 5,9 %. Mais, dès 1860, E. de Labédollière peut: écrire que : « le calme de cet Eden bourgeois (Belleville et le Ratrait) a presque entièrement disparu, car bon nombre d'ouvriers chassés de Paris par les démolitions étant venus y chercher asile, les villégiateurs leur ont cédé la place et s'en sont allés chercher plus loin de sorte qu'aujourd'hui, castels, chalets et cottages sont des ateliers ». (28)

En 1871, les petits-bourgeois (ce sont d'ailleurs le plus souvent des artisans ou de petits commerçants retirés des affaires) — ou. pour parler comme Maxime du Camp, la « demi petite bourgeoisie », dont le nombre est considérablement réduit, se trouvent rejetés à l'Est et en périphérie du quartier, laissant place, au cœur de Belleville à un peuplement ouvrier homogène.

Paradoxalement cependant, et à la différence de ce qui s'est passé dans les quartiers du nord de la capitale (La Chapelle, les Batignolles, ou même La Villette), ce n'est pas le développement des grosses entreprises d'une industrie moderne au-delà des anciennes barrières qui a rassemblé à Belleville cette puissante population ouvrière, mais seulement l'exode ouvrier du centre de Paris, provoqué par la cherté des loyers et les démolitions d'Haussmann. Si Belleville, tout particulièrement (ce  n'est plus  tout  à  fait  vrai  de Charonne, ou de Combat) est un quartier d'habitat spécifiquement ouvrier, te n'est pas pour autant un quartier qui a fixé beaucoup d'entreprises. En 1860. l'enquête de la Chambre de Commerce dénombrait seulement 3.803 entrepreneurs dans l'ensemble du XXe arrondissement, occupant 7.660 ouvriers : soit une bien faible proportion de la population (70.060 habitants en 1861) occupée sur place (29). Dans cet arrondissement ; sept notables commerçants seulement existent en 1860 : deux négociants et cinq industriels, et neuf en 1869 : trois négociants, six industriels. L'examen des calepins industriels du cadastre confirme le petit nombre et surtout la petitesse des entreprises sises dans le quartier de Belleville : y sont inscrites en 1862 (en dehors des très petits artisans travaillant seuls) cinq fabriques seulement : — une manufacture de porcelaine (avec un seul four), une minuscule verrerie — - une petite brasserie (2 chaudières), une fabrique de briques (5 ouvriers), une fabrique de vis (Fontenoy, rue de la Mare : 20 ouvriers et une machine à vapeur de 8 CV). Le nombre et l'importance même des entreprises paraissent avoir diminué depuis 1851 (à cette date, de nombreuses fabriques « insalubres » cherchaient place au-delà de la barrière de Belleville : en 1848 le prédécesseur de Fontenoy (Cordier-Lalande : polisseur d'acier) occupait 108 ouvriers, en 1860 disparaît une fabrique de passementerie de 30 ouvriers. Le quartier de Belleville, quartier ouvrier s'il en est, apparaît comme un désert industriel qui contraste avec l'activité de Charonne (gare du chemin de fer de ceinture, industrie des papiers peints) et surtout du XIXe ou du XVIIIe arrondissement (abattoirs, gares, entreprises métallurgiques). C'est hors de son quartier que l'ouvrier bellevillois doit, aller chercher du travail, et nous aurons à  revenir sur les importantes conséquences de ce fait. (30) Mais, socialement, de quels ouvriers s'agit-il ? Artisans ou prolétaires, ouvriers de grande, de moyenne, de petite industrie ? Les ouvriers qui travaillent sur place sont sans aucun doute des artisans ou des ouvriers de très petite industrie, comme on le voit d'après l'Enquête de 1860 ou l'examen des patentes industrielles : en 1860, 2,02 ouvriers par entreprise (y compris les commerces d'alimentation et les transports), ce qui est l'une des plus faibles proportions que l'on rencontre à Paris (31) — et les patentes inscrites au cadastre sont toutes infimes. Mais les ouvriers travaillant sur place ne sont qu'une minorité. Pour les autres, cuti travaillent hors de Belleville, il est plus difficile de répondre. Le recensement de 1872 ne donnant que de très vagues indications à ce sujet, force nous est d'en revenir à la  liste électorale. (32)

Elle ne nous précise jamais la qualité exacte de l'électeur : commerçant ou industriel, ni surtout salarié ou patron (33). Seule peut donc être tentée une analyse professionnelle de la population électorale. Mais celle-ci a, indubitablement, des implications sociales. Nous avons cru pouvoir distinguer — à Belleville tout au moins — deux groupes de métiers : les métiers traditionnels, métiers d'art ou métiers spécialisés (bien définis alors par le terme et arts et métiers »), qui, avec les métiers du vêtement ou de la chaussure, et peut-être encore les métiers du textile (passementerie, bonneterie) sont tous probablement encore dans leur majorité de structure artisanale ou semi-artisanale, et les métiers plus neufs, ou plus récemment développés, où inversement on a plus de chances de rencontrer au moins une structure de moyenne concentration : bâtiment, et surtout métaux (mécaniciens, chauffeurs, fondeurs, mouleurs...). On peut objecter le caractère imprécis, dans une certaine mesure arbitraire, de cette distinction (et l'existence d'une métallurgie traditionnelle et artisanale, dans de très petits ateliers, ou. inversement celle des grandes fabriques récentes du meuble ou de la bijouterie). Une étude minutieuse des structures industrielles de la capitale convainc que cette opposition peut être considérée à la fin de, l'Empire comme grossièrement exacte (34).

Professionnellement et socialement, les quartiers « « bellevillois » se distinguent fortement des quartiers du Nord de Paris. Leur trait le plus immédiatement apparent, que l'on retrouve dans tous, qui justifie leur inclusion dans les limites d'un Grand Belleville, est en effet la place encore largement prééminente qu'y tiennent les ouvriers des métiers que nous avons dit traditionnellement parisiens : arts et métiers : 25,5% à Belleville, 23% au Père-Lachaise, 19,3% à Saint-Fargeau, et  15,8%  encore dans Combat : métiers du textile : au Père-Lachaise, 4,6% à Saint-Fargeau, 4,2% à Belleville, métiers de la chaussure et du vêtement : 6,6% au Père-Lachaise, 6,3% a Belleville... C'est en ceci que le prolétariat bellevillois se différencie très nettement du prolétariat des quartiers plus modernes du Nord et du Nord-Est (cependant de développement contemporain), prolétariat fixé là par de grosses entreprises récentes, où artisans et spécialistes (6 % à La Villette, 5,4% à La Chapelle) s'effacent devant les métallurgistes (12,1% à La Chapelle, 9,7% à La Villette), les employés de chemin de fer (10,3% à La Chapelle), les raffineurs (3,5% à La Villette). En ceci, en revanche, il reste très proche du prolétariat des quartiers centraux de la capitale (et tout particulièrement des IIIe et IVe arrondissements) exclusivement de type ancien. (35) On voit combien il serait imprudent d'exagérer l'ampleur du fossé qui sépare l'ouvrier de  1869 ou de 1871 de l'ouvrier de 1848.

À ces éléments traditionnels cependant, se juxtaposent à Belleville des traits sensiblement nouveaux. Une part très notable des électeurs travaille dans le bâtiment (de 7 à 8%) et surtout dans la métallurgie (non compris les Serruriers. 13,1% au Père-Lachaise, 11,1% à Belleville, 9,3% dans Combat, soit dans des entreprises qui ne sont plus tout à fait artisanales. Voilà qui éloigne considérablement du prolétariat des quartiers du centre où (sauf dans le XIe arrondissement) (36), ces rubriques sont pratiquement inexistantes. Voilà qui, inversement, paraît rapprocher des quartiers plus modernes du Nord : les pourcentages de « métallurgistes » sont dans les quartiers bellevillois approximativement les mêmes que dans le quartier de La Chapelle. D'ailleurs, l'importance de cette rubrique est à Belleville le fait d'une évolution très récente, accomplie au cours de l'Empire. En 1851 cette catégorie ne groupe guère plus de 1% de la population active (37), le contraste est net avec la situation décrite pour 1871.

Mais quels de ces traits, anciens ou nouveaux, traditionnels ou modernes, marquent le plus profondément Belleville en 1870 ? Assurément les premiers ! On ne saurait totalement assimiler le métallurgiste de Belleville et le métallurgiste de La Chapelle. Le second qui travaille dans de puissantes entreprises (et par exemple la gare de marchandises) a déjà les traits d'un prolétaire moderne, le premier, dont on peut supposer qu'il travaille dans le XIe arrondissement, appartient à une entreprise probablement médiocre, de 10, 30, 50 ouvriers, et garde bien des traits anciens. Rien en somme n'entame vraiment à Belleville la prééminence des métiers traditionnels. L'ouvrier bellevillois n'est souvent qu'un ouvrier du centre, qui a passé contre son gré la « barrière » et émigré dans les quartiers de l'Est. L'empreinte du vieux Paris qu'il habitait il n'y a pas si longtemps le marque encore profondément. Ce que montre l'étude du recrutement de la population bellevilloise : c'est à Belleville, c'est dans le XXe arrondissement que l'on compte la plus forte proportion d'habitants nés à Paris (entendons ici le Paris d'avant 1860) : 45,8% en 1872 (contre 39,3% dans le IIIe, quartier ouvrier central, 38,4% dans le XIe, 35.2% dans le XIXe, 34,9% dans le XVIIIe). Les étrangers n'y représentant qu'un pourcentage minime (5,9%), c'est aussi dans ce XXe arrondissement que la population d'origine provinciale est la moins nombreuse (48,2 %, contre 53,3 % dans le IIIe, 54,6% dans le XIe, 58% dans le XVIIIe...). Dans le quartier même de Belleville, 34,9% des électeurs sont nés dans la Seine, et 29,5% dans les limites de l'ancien Paris (2.7 % seulement du total dans l'ancienne commune de Belleville) (38). À Saint-Fargeau, 34.7% d'électeurs nés dans la Seine (26.8 % de « vrais » Parisiens, 4,4 % de Bellevillois). À Combat, un fléchissement déjà : 25,9 % d'électeurs nés dans la Seine (23,2 % de parisiens).

Ces pourcentages toutefois font encore la part assez belle aux habitants d'origine provinciale (39) et notamment dans la liste électorale (65% environ). Ceci ne diminue en rien la force de l'empreinte parisienne sur la population bellevilloise; car, avant de venir s'installer à Belleville, nombre de provinciaux ont habité les quartiers centraux de la capitale, en deçà des anciens murs d'octroi. Ce fait ressort assez bien de l'étude de l'origine des conscrits du XXe arrondissement dans les années 1865 à 1870 (40). Une minorité — décroissante d'ailleurs — est née en province (40,3% en 1865, 38,2 % en 1866, 37,5% en 1869, 35,5% en 1870). Près de la moitié d'entre eux en revanche est née dans le vieux Paris (42,0 % en 1865, 43,3% en 1866, 43,5% en 1869 , 45,6% en 1870). D'où cette déduction que, vingt ans auparavant, leurs parents (pour une large part des provinciaux) étaient installés dans les anciens quartiers, où ils ont fait au moins un court séjour. Quels quartiers précisément? Évidemment les plus proches de Belleville, principalement l'ancien VIII8 arrondissement (aujourd'hui grossièrement équivalent aux XP et XIIe arrondissements), mais aussi les vrais arrondissements « centraux » IIIe et IVe.

Proportion des conscrits d'origine parisienne

LIEU    DE   NAISSANCE

 

1865

%

1866

%

1869

%

 

1870

%

Ve  ancien = Xe nouveau

12,3

12,6

13,8

11,3

VIe      IIIe-XIe

19,8

22,6

21,7

19,1

VIIe     IIIe-IVe

10,6

9,0

9,5

6,8

VIIIe     XIe-XIIe

23,3

24,6

26,3

29,4

IXe     IVe

4,4

 

6,2

7,1

8,2

XIIe      Ve-XIIIe

13.2

9.2

5-9

6,1

Marquer cette empreinte du vieux Paris, c'est traduire en somme en d'autres termes la prééminence des métiers traditionnels, qui sont aussi, à de rares exceptions, ceux qui comptent les plus fortes proportions d'ouvriers d'origine parisienne. À Belleville, 48% des ouvriers des principaux métiers d'art sont nés dans le vieux Paris, 62% des ciseleurs, 48% des bijoutiers et orfèvres, 48% des graveurs, sculpteurs et doreurs, 56 % des ouvriers d'optique, 55% des peintres sur porcelaine (une industrie très bellevilloise), 43% encore des ouvriers en divers articles de Paris. Dans le bois (tourneurs, layetiers...) 45% de parisiens. Les « métaux » au contraire apparaissent comme de recrutement plus provincial : 29% seulement de parisiens (aucun forgeron, 15% des chauffeurs, 29% des mécaniciens, 36 % des ajusteurs et monteurs, 39% des fondeurs et mouleurs); et de même le bâtiment (28 % de parisiens) ou les journaliers (21%). Les mêmes traits sensiblement se retrouvent dans le quartier de Combat : 45% des bijoutiers sont 'origine parisienne, 50 % des ciseleurs, graveurs et sculpteurs, 40 % des ouvriers en articles de Paris ; inversement, 30% de mécaniciens, 34% de fondeurs et mouleurs (41).

Nous insistions précédemment sur le fait que ces ouvriers bellevillois (qui viennent donc en large majorité, soit directement, soit indirectement, de l'ancien Paris) travaillent encore, faute de pouvoir le faire sur place, dans les quartiers centraux. Les liens sont donc extrêmement forts entre Belleville et le vieux Paris : tout contribue à faire du prolétaire bellevillois le plus parisien de tous les Parisiens. On pourrait dire en somme que le déplacement du traditionnel centre de gravité du Paris révolutionnaire n'est autre chose qu'un déplacement des troupes ouvrières traditionnelles.

Ainsi décrite la physionomie du prolétaire bellevillois (où assurément les traits traditionnels l'emportent largement sur les traits nouveaux), l'étude des résultats électoraux peut être approfondie. La candidature Rochefort, plus rouge, plus extrémiste, trouvait moindre faveur auprès de certains électeurs que la candidature Gambetta : chute de voix prononcée à Belleville, presque nulle en revanche dans le XVIII5 arrondissement et à La Chapelle. Sans doute ce recul, quand il existe, peut-il être imputable aux électeurs employés ou petits-bourgeois qu'effraie un peu la réputation du marquis rouge. Mais il est moindre ou nul dans les quartiers où domine un prolétariat de grande industrie — très notable inversement dans les quartiers où l'emportent les métiers traditionnels. Du premier type de quartiers, la Chapelle est le plus caractéristique : Rochefort y conserve absolument le même pourcentage de voix que Gambetta : 55,2% pour 55,4% : or nous y dénombrons 12,1% d'électeurs ouvriers des métaux, 10,3 % d'employés de chemin de fer, mais très peu d'ouvriers des petites industries traditionnelles, et le cadastre y mentionne en 1867, outre la gare et ses ateliers de réparation, une fabrique de voiture (Thiébault) de 35 ouvriers, un constructeur de machines à vapeur (Calla) et une fabrique de boulons (Lecerf) employant chacun 100 ouvriers. Aussi net encore le cas des Epinettes et de Pont-de-Flandre : les électeurs radicaux dans ces quartiers sont peut-être moins nombreux qu'ailleurs, mais ils sont plus fidèles : Rochefort y gagne légèrement en pourcentage sur Gambetta; aux Epinettes est installée la puissante usine Gouin (110 Avenue de Clichy) de construction de locomotives et de ponts en fer (800 à 1.200 ouvriers); Pont-de-Flandre compte 10 % d'ouvriers des métaux, 10% de journaliers, mais très peu d'ouvriers d'art. (42) Du second type au   contraire, Belleville :   dans   sa   meilleure   section, la   17e, Rochefort   perd plus de voix sur  Gambetta ;  pour être moins prononcée dans les autres sections, la chute n'en est pas moins nette. (43) Ne doit-on pas en conclure que cette frange hésitante comprend très probablement des ouvriers des métiers traditionnels, et que, « exagérément » révolutionnaire, le prolétaire de Belleville est tout de même un peu moins constant, un peu moins déterminé que le prolétaire du Nord de Paris.

 

La nouvelle misère

Il est amplement constaté que le « fossé » qui sépare professionnellement ou socialement l'ouvrier bellevillois du vieil ouvrier parisien est mince. Où chercher dès lors ce qui fait l'originalité révolutionnaire (et nouvelle) de ces quartiers? Pourquoi est-ce désormais l'ouvrier bellevillois qu'on voit en tête des émeutes? Pourquoi Belleville est-il le « cratère » des révolutions? (44)

La timide apparition de « prolétaires » d'industries plus « évoluées » peut y être pour quelque chose : mais ceux-ci sont passablement noyés dans la masse des ouvriers de type ancien, dont ils ne se distinguent d'ailleurs pas nettement. Sans doute faut-il revenir de préférence à des explications plus traditionnelles : la source de cette originalité paraît  être dans la très  dure condition  qui est généralement celle des ouvriers de l'est de Paris, « véritable Sibérie parisienne », si l'on en croit Louis Lazare :

« Le XXe arrondissement est l'un des plus malheureux de nos arrondissements excentriques par l'augmentation toujours croissante de sa population indigente et son manque absolu de ressources intérieures. » (45)

On y vit très mal, et d'abord on y meurt beaucoup, autant ou presque que dans les arrondissements meurtriers de la rive gauche, les lamentables XIIIe et XIVe arrondissements. Pour les années 1866 à 1869, la mortalité moyenne, 32,3 pour mille équilibre exactement la natalité (mortalité supérieure à la natalité en 1866 et 1868). On y meurt beaucoup, tout particulièrement de maladies pulmonaires, qui ont déjà leur aspect de maladies de classe (et les statisticiens commencent à s'en préoccuper) : 5,5 décès par phtisie pulmonaire en 1872 pour mille habitants du XXe arrondissement (la plus forte proportion à Paris) : 5,5 pour mille à Belleville, 6,7 à Saint-Fargeau, 4,8 au Père-Lachaise, 5,0 à Combat, 4,2 dans Amérique (46). Un Bellevillois sur 10 est inscrit à l'indigence et ici encore, le XXe arrondissement ne le cède qu'au XIII0 (qui comprend l'hôpital de la Salpêtrière). Le nombre de ces indigents n'a cessé de croître depuis 1860 : 7,5 % de la population en 1861 (5.279 indigents), 9,1 % en 1863 (6.889), 9,5° en 1866 (8.312), 9,6 % en 1869 (9.723). Le très dur hiver 1868-1869 a particulièrement éprouvé l'arrondissement : selon L. Lazare, qui cite une lettre du maire, 25.000 habitants (soit plus du quart de la population) vivent (ou meurent) dans le dénuement le plus complet (47). Pour parfaire ce tableau statistique, le XXe arrondissement se place dans les tout premiers rangs, à Paris, pour le nombre d'illettrés ou de semi illettrés (18 % de la population adulte en 1872) pour le nombre des enfants naturels, pour la faiblesse des contributions mobilières payées.

Dénuement le plus complet, mais aussi misère « dangereuse » » car la misère fait encore des ouvriers bellevillois des éléments dangereux socialement. « Coin le plus vilainement peuplé de la capitale », dira en 1881 Othenin d'Haussonville — et en effet il ne doit pas faire bon s'aventurer dans les ruelles tortueuses de ces quartiers lépreux. En voici un exemple emprunté à l'histoire même des élections de 1869 : la proclamation des résultats du scrutin donne lieu, au début du mois de juin, à des manifestations dans les quartiers ouvriers de Paris. Désordres très violents à Belleville, mais où il n'est pas sûr que la ferveur républicaine ait été le principal élément. À en croire la Gazette des Tribunaux tout aurait commencé par une querelle d'ivrognes : le 8 juin à g heures du soir, l'ouvrier Vitasse, un mécanicien de Belleville, refuse de payer sa consommation dans un cabaret du boulevard de Belleville. Mis dehors, il revient sans tarder avec une bande de « rôdeurs de la barrière », pille la boutique et brutalise les passants. Des incidents semblables se produisent ailleurs : à 11 heures et quart, une autre bande de 300 hommes, armés de barres de fer, attaque le débit de vin Morel, sur le même boulevard (48).

« Dans cette soirée, depuis 8 heures jusqu'à minuit, le boulevard de Belleville, les rues Saint-Maur (XIe) et de Charonne, l'avenue des Amandiers et le faubourg du Temple furent incessamment sillonnés par des bandes de pillards... Dans la seule rue Saint-Maur, un commissaire de police a compté plus de 50 maisons dont les impostes ou les vitres étaient réduites en morceaux... ».

Le 9, les troubles continuent, les boutiques sont fermées, les omnibus ne circulent plus (49), ils prennent toutefois une allure plus politique : « des bandes nombreuses détruisent un marché, s'y arment de pièces de fer, brisent les kiosques, les réverbères, les vitres des maisons, les barrières d'un chantier, mettent le feu à une guérite de surveillant de voiture de place, descendent vers la Bastille au nombre de 3 à 4.000, précédés d'un drapeau rouge et criant « Vive la République » et chantant la Marseillaise; ils frappent et blessent des agents... »

Troubles encore les 10, 11 et 12 juin. On saccage force débits de boisson ou maisons de tolérance, on moleste maint bourgeois. Les heurts avec la police (treize agents blessés le 10) et la cavalerie sont extrêmement violents. On note un début de barricade. 500 arrestations sont effectuées.

S'agit-il de violences crapuleuses ou de manifestations républicaines ? La Gazette aimerait laisser entendre que les deux sont inséparables. Il est certain qu'aux manifestants républicains se sont mêlés de dangereux « rôdeurs de la barrière », nullement animés de quelque ferveur politique. Mais il n'est pas certain que, toujours, l'ouvrier républicain soit facile à distinguer de l'ivrogne pillard de cabaret. Onze des treize accusés qui comparaissent en cour d'assise en octobre 1869 pour répondre de violences et de pillage sont des ouvriers bellevillois : 1 mécanicien (Vitasse), 1 bijoutier, 1 plombier, 2 cordonniers, 1 maçon, 1 serrurier en voitures, 1 tourneur en cuivre, 1 boutonnier, 1 ébéniste, 1 journalier. Même après l'annexion de 1860, nous sommes encore « au-delà des barrières », hors de la ville véritable, dans une « zone » assez redoutable (pas bien loin de ce repaire de brigands et de vagabonds que sont les Carrières d'Amérique). Peut-être la misère abjecte fait-elle une partie de la ferveur révolutionnaire ?

Cependant, à tout prendre, cette misère ne doit pas être, à Belleville, beaucoup plus terrible que dans les vieilles ruelles, les vieux taudis du centre, qu'Haussmann n'a pas tous jetés bas. Mais à la misère s'ajoute un fait nouveau : la conscience qu'a l'ouvrier bellevillois d'être maintenant un exilé, un demi paria, par l'effet de cette impitoyable ségrégation de classe qui, depuis 1848 l'a rejeté hors de la ville, l'envoyant « camper » dans les quartiers extérieurs où règne désormais « la nouvelle misère ». La plupart des ouvriers, chassés du centre par les démolitions ou la hausse des loyers, avaient, semble-t-il, cru cet exil provisoire : mais s'ils songent au retour, les loyers élevés des maisons nouvelles, parfois le propriétaire « qui ne veut plus d'ouvrier » le leur interdisent. Et la mortification de cet exil est d'autant plus durement ressentie que l'on habite dans un quartier parfaitement déshérité, totalement oublié de l'administration haussmannienne : Louis Lazare décrit :  

« ces anciennes communes, véritables Sibéries, sillonnées de chemin tortueux, sans pavage, sans éclairage, sans marché privées d'eau... »

où l'omnibus ne pénètre pas, où le manque d'école (alors qu'on a rapidement construit une nouvelle église) prive d'instruction près de la moitié des enfants,

« tristes et misérables quartiers qui forment un contraste affligeant et coupable avec les arrondissements de l'Ouest... où tout semble inanimé, mort... ».

Or, pour une part, les ouvriers émigrant en ceinture avaient cru pouvoir trouver au-delà des barrières d'octroi un peu plus d'aisance et certains avantages matériels : moindre cherté de la vie, loyers modérés dans ces zones peu habitées. L'annexion de 1860, repoussant l'octroi aux nouvelles fortifications, a fait monter le coût de la vie, l'afflux de population a fait hausser les loyers; et Louis Lazare conte l'histoire caractéristique d'une famille d'ouvriers qui dut ainsi « enjamber le mur d'octroi ». Avant 1848, ils habitaient impasse Saint-Faron dans le centre ; on leur donne congé en 1849 lorsque commence le percement de la rue de Rivoli, ils émigrent une première fois rue Oberkampf (toujours dans les limites du vieux Paris). Désireux de revenir en 1852 dans leur ancien quartier, ils en sont empêchés par la cherté des petites locations dont le prix a doublé dans les anciennes rues et partout d'ailleurs « le propriétaire ne veut plus d'ouvriers ». Rue Oberkampf même, le loyer passe de 160 à 180 puis 200 fr. Ils ont alors l'idée de passer la barrière et s'installent rue de l'Ermitage à Belleville, escomptant une vie plus facile : à la fin de 1859 ils avaient en effet pu économiser 180 fr. » L'extension de Paris est venue nous bouleverser et a remplacé l'aisance par la gêne ». Le loyer augmente d'un quart, l'eau se paie désormais 40 Ir. par an, l'octroi fait hausser de 20 % la viande, le charbon, le bois, l'huile — et c'est très vite la gêne : « trop souvent nous engageons nos effets au Mont-de-Piété » — car le mari, tourneur, qui gagnait 4 fr. par jour en 1847 en gagne en 1869 de 5 à 6, mais subit, comme tous les ouvriers du bâtiment des chômages de plus en plus fréquents et prolongés.

Le cas concorde avec les estimations statistiques que nous pouvons faire des hausses de loyer ou de coût de la vie. La dureté des temps, la très forte hausse récente du prix du pain, l'aggravation indiscutable et générale de la condition ouvrière se doublent du ressentiment de l'exil pour faire du bellevillois un révolté ou un révolutionnaire. On a contraint la plèbe à se retirer sur le « Mont Aventin » et cela est lourd de conséquence. Dans les quartiers du centre, on vivait pêle-mêle, bourgeois, petits-bourgeois, ouvriers, pauvres et riches dans une cohabitation à peu près fraternelle bien décrite par Lazare ou Corbon (50). Dans les quartiers extérieurs désormais, et à Belleville plus qu'ailleurs, on vit entre ouvriers. Chassé de Paris, le Bellevillois n'est pas pour autant un déraciné : il est venu bien au contraire s'intégrer à une.nouvelle collectivité, purement ouvrière celle-là, qui n'a plus de contacts que violents avec la société bourgeoise. Tous les observateurs du temps insistent sur le danger qu'il v a à laisser se constituer, aux portes de la capitale, une ville ouvrière étrangère, déshéritée, où se vit, se crée pour la première fois peut-être à pareille échelle, dans l'habitat commun, l'unité des prolétaires.

« On a cousu des haillons sur la robe pourpre d'une reine; [...] on a constitué dans Paris deux cités bien   différentes  et hostiles, la ville du luxe, entourée, bloquée par la ville de la misère... Autour de la cité reine se dresse une formidable cité ouvrière; l'une est parée de soie, de velours et de diamants, l'autre n'a que son vêtement de travail... Vous avez mis toutes les séductions aux prises avec toutes les convoitises, le superflu avec l'indigence, la satiété avec la faim ».

Il y a depuis quelques années, une ville pauvre qui menace sourdement la ville riche : la lutte de classes, en somme, si mal comprise encore idéologiquement, n'en existe pas moins, clairement inscrite dans la géographie même de la capitale.

Prologue   de   révolution

Car, dit encore Molinari « c'est bien un drame politique qui se prépare et nous en sommes au prologue » (51), et nous-mêmes avons voulu voir avec lui dans les élections de 1869 une étape vers la Commune, Belleville devant être aussi bien le « cratère » de cette révolution ouvrière (52). Ayant tenté de l'aire revivre, de comprendre l'ouvrier de Belleville, nous pouvons répondre à la question : pourquoi est-il le principal artisan des révolutions ?

Il n'est pas, semble-t-il, sensiblement différent de son prédécesseur de 1848, professionnellement, socialement, idéologiquement. L'Empire, la prospérité impériale, ont peut-être modifié les structures industrielles de la capitale : ces transformations ne sont pas encore devenues conscientes; ce n'est pas à Belleville d'ailleurs qu'elles sont le plus notables. Le fait nouveau qui peut expliquer sa vivacité révolutionnaire, pourrait bien être son exil, cette ségrégation sociale qu'a imposée la nouvelle bourgeoisie impériale : ségrégation imprudente, à une époque où la communauté d'habitat prime largement la communauté du lieu de travail, et qui crée à Belleville tout particulièrement une cité ouvrière, puissante et menaçante parce qu'homogène, nouveau creuset où se forgent les énergies révolutionnaires (53).

Cette « suprématie » bellevilloise a ses limites, qui définissent par conséquent   les  limites  de   cette   étude.   Le   prolétariat  bellevillois est certes dès 1869 le plus énergique parce que le plus nombreux et le plus homogène. Mais il est, dans le Nord de la capitale, dans le Sud (rive gauche), dans le vieux Centre encore, d'autres noyaux ouvriers, d'allure très différente (ouvriers de la grande industrie clans le Nord, dans le Sud ouvriers de ces industries nauséabondes que sont les industries chimiques et du cuir, dans le Centre, ouvriers traditionnels); noyaux moins denses peut-être et moins puissants, mais parfois tout aussi décidés et révolutionnaires. Ceux-ci joueront pendant la Commune un rôle moins éclatant que Belleville; ce ne sera pas toujours un rôle moins efficace. Dans le XVIIIe arrondissement, dans le XIIIe surtout, la révolution recrute des troupes plus agressives, plus disciplinées qu'à Belleville où l'on est plus bavard qu'actif. Il n'y a pas en somme dans Paris « un » mais des prolétariats divers, et on ne saurait généraliser la portée de nos conclusions. Belleville a la force du nombre, de la cohésion donc la « suprématie » électorale, mais ce n'est qu'un des noyaux ouvriers de la capitale : un des plus bruyants et des plus originaux pendant le Second Empire, pas nécessairement le plus évolué ni le plus efficace.

 

 

 (1) Journaliste aux Débats. Article repris dans Les Clubs Rouges pendant le Siège et la Commune, p. 234. Voir également G. Duveau, La Vie Ouvrière…, « L'âpre rumeur de Belleville, de La Villette, de Charonne, couvre le bruit plus discret que font entendre les petits ateliers du Faubourg Saint-Antoine... Le débardeur ou le mécanicien de La Villette l'emportent sur le bronzier du Temple... » (pp. 203-204). Nous verrons qu'il ne s'agit pas tant de La Villette que de Belleville, et pas nécessairement de mécaniciens.

 

(2) Notons cependant que si la suprématie de Belleville est nouvelle, son ardeur révolutionnaire ne l'est pas. Cf. le rapport Goy sur l'insurrection de juin 184S. « Aucun lieu n'a fourni (Ménilmontant) autant d'insurgés; ainsi la rue de Ménilmontant tout entière et la rue des Panoyaux étaient sous les armes. Huit cents montagnards gardaient les barricades et dans chaque maison il y avait des hommes prêts à faire le coup de feu. »

(3) Combat : 13e et 14é sections. — Amérique : 15e. — Belleville : 16é, 17é et 18e sections. — Saint-Fargeau: 19e section. — Père-Lachaise : 20e et 21e sections.

  Charonne, dernier quartier du XXe arrondissement, forme la 6e section de la 8e circonscription (où se présente Jules Simon).

Quand un quartier compte plusieurs sections, il ne nous a pas été possible de reconstituer les limites exactes de celles-ci. Nous pouvions seulement les situer grossièrement autour des lieux de vote; ceci nous oblige à user de localisations assez vagues : Belleville Nord-Ouest, Sud-Ouest, Est...

 

(4) Il  y  avait  47.308   inscrits.   On  compte  seulement  94  bulletins   blancs  et 17 bulletins annulés. Cf. Carton C  2.00s des A.N. Pour l'élection  de Rochefort :  votants :  34.461;  inscrits :  46.944.

(5)  « Je veux me présenter contre Carnot : 1° parce que j'espère le battre; 2° parce que, si je le bals, je serai porté à la Chambre par la force de la bataille et je serai autre chose qu'un député de la liste républicaine, je serai une force; je ne dépendrai que de mes électeurs et de moi-même, tandis que si je me présente contre Darimon, le Siècle appuiera ma candidature, Favre, Picard... finiront par me soutenir et je deviendrai une de leurs créatures... Je vise plus haut et plus loin; je veux qu'une élection libre et directe du peuple me porte à la Chambre et je refuse le patronage des Bonzes alliés à la presse. Si je réussis, j'occuperai à la Chambre une position unique et je serai mon propre maître ».

Lettre de Gambetta au Docteur Fieuzal. Cf. A. Tournier, Gambetta, Souvenirs anecdotiques, Cité par J.-B.-T. Bury, Gambetta, Défenseur du Territoire, p. 18.

 

 (6) Bury, ibid., p. 19. et Gambetta, Discours et Plaidoyers Politiques (Ed. Joseph   Reinach, tome  I, p.  430).

 

(7) Rappel, du  23 mai   1869.

(8) Thiers, son concurrent à Marseille, voit déjà en Gambetta « un danger politique et social ».

 

(9) On doit souligner à cette.époque le rôle éminent joué par les cordonniers dans la propagande révolutionnaire. Rôle bien analysé par Georges   Duveau, Histoire du Peuple Français, t. IV, De 1848 à nos jours, p.  159 sq.

 

(10) Texte du Programme et Réponse de Gambetta dans J.-B.-T. Bury, op cit. d'après Reinach. Appendice II, p. 301. Voir également Claude Nicolet, Le Radicalisme, QSJ, p. 38 sq.

 

(11) Les programmes populaires pour les élections à la Commune de 1871 ne sont pas beaucoup plus explicites sur le plan de la critique sociale. (Voir Charles Rihs, La Commune de 1871 : Histoire des Doctrines, et notre DES sur ces élections). Cf. par exemple l'Exposé des Principes du Comité Electoral Républicain Socialiste du XIe arr., Murailles Politiques Françaises de 1870-1871. Ce comité réclame en premier lieu toutes les libertés politiques : les questions proprement sociales ne sont abordées que de façon très indécise : « impôt personnel et progressif... Le Travail devra être organisé... La Propriété ne doit être que le droit de chacun à participer (en raison de sa coopération individuelle) au fruit collectif du travail de tous, qui est une forme de la richesse sociale »... En revanche « avec les libertés communales, il n'y aura plus d'oppresseurs ni d'opprimés, plus de distinctions de classe, plus de barrières entre les peuples...  »

 

(12) Voir G. de Molinari, Les Réunions Publiques et le Mouvement Socialiste avant la Révolution du 4 septembre, et Auguste Vitu, Les Réunions publiques à Paris en 1869.

 

(13) op.  cit., p.  28.

 

(14) Op. cit., p.  83, sq.

 

15) Molinari, op.  cit., p. 71, sq. Réunion des Folies-Belleville de septembre 1869. « L'année dernière, il suffisait de titre des gros mots au capital, de rouler des yeux suffisamment terribles en menaçant les propriétaires d'une « liquidation sociale » pour exciter l'enthousiasme des uns, l'indignation et la colère des autres. Aujourd'hui, cela ne suffit plus, et nous avons été agréablement surpris, il y a quelques jours, d'entendre le public des Folies-Belleville, saturé et écœuré de déclamations, réclamer à grands cris des faits, des faits.  »

 

(16) Que très probablement cependant on ne voit guère dans les mauvaises rues des quartiers ouvriers. Voir la déposition Hervé devant la Commission d'Enquête sur les Evénements du  18 mars  1871 : « Il y a des quartiers de Paris où l'Eglise n'arrive pas... où un prêtre ne pénètre jamais...  ». Belleville est de ceux-là.

( 17) Et l'une des plus brûlantes questions qui se posent dans les réunions est de savoir si l'on est robespierriste ou hébertiste : à Belleville, le 17 janvier 1869, les deux partis échangent des coups.

 

(18) Cf. encore cette réflexion d'un électeur bellevillois le 26 mars 1871. entendue par Moriac,Les Elections du 26 mars à Paris :  « Je vote pour des rouges-rouges, mais nom de Dieu, si j'en savais un plus radical que le drapeau rouge, je le nommerais de préférence... »

 

(19) Temps, du 17   juin   1869.

 

(20)Illustration, du 20 novembre 1869. Ies esprits sont surexcités à la nouvelle de l'arrestation — provisoire — de Rochefort rentrant d'exil.

 

(21) Journal des Débats, du 14 novembre, compte-rendu de la réunion tenue le 13 novembre rue de Lévis.

 

(22) Les citations que nous avons faites concernant cette campagne sont empruntées :

1° Aux divers journaux (les coupures de presse nous ont été communiquées par J.  Gaillard).

2° Aux deux livres de A. Vitu, Les Réunions publiques à Paris en 1869 et Les Réunions électorales à Paris, mai 1869 (Bibl. de la Ville de Paris, in-8, 607.181 et 29.289).

 

(23) Nous empruntons le terme à Othenin d'Haussonville n, qui l'emploie dans un article sur «  la Misère à Paris », Revue des Deux-Mondes. 1881. Hugo s'en était déjà servi dans les Misérables, c'était alors pour désigner le Faubourg Saint-Antoine.

 

(24) L'étude de Belleville est rendue malaisée par la rareté des sources dont nous disposons, imputable essentiellement aux incendies de 1871 qui ont détruit de précieuses archives. Ainsi nous manque dans son détail le recensement de 1866 qui est sans doute le meilleur du XIXe siècle. Toussaint Loua a brièvement transcrit dans son Atlas Statistique de la Population Parisienne les principaux résultats (mais par arrondissement, non par quartier) du recensement de 1872, qui est malheureusement le plus imprécis et difficilement comparable avec les recensements précédents ou suivants. D'utiles comparaisons peuvent, être faites avec le recensement de la population de l'ancienne commune de Belleville en 1851 (Archives de la Seine DO bis 18). Les registres de recrutement militaire par arrondissement (Archives de la Seine; série D R 1), comme les statistiques triennales d'indigents, donnent d'utiles indications, mais qui ne portent que sur un très petit nombre d'individus. L'Enquête de la Chambre de Commerce de 1860 décrit la géographie des entreprises industrielles, mais non celle de l'habitat ouvrier qui nous intéresse ici (à Belleville tout particulièrement, il n'y a pas coïncidence). La liste électorale reste le meilleur document (âge, origine et profession de l'électeur) et le seul qui permette d'étudier le quartier ou même la section de vote. M. Louis Chevalier, dans La Formation de la Population parisienne (p. 27-28, 185 sq.) en a dit toutes les imperfections, qui imposent une très grande prudence dans son utilisation, pour une analyse d'ailleurs beaucoup plus professionnelle que sociale. Nous ne disposons pas, pour le XXe arrondissement, de listes antérieures à juin 1871.

 

(25) 1870 : « Recensement général de la Population renfermée dans Paris pendant le Siège en vue du Rationnement du Pain », Bulletin de Statistique Municipale : Ville de Paris : mois de janvier 1871. Il s'agit d'un recensement approximatif, néanmoins valable. Pour l'étude de la croissance de la population parisienne, cf. Halbwachs, Les Expropriations et le Prix des Terrains à Paris et évidemment Louis   Chevalier, Formation  passim.

26) XIe arr. : 66,3 %. — XIXe : 60,2 %. — IIIe : 55,7 %. Et lors du recensement de 1876 où la rubrique Industrie est entendue un peu plus largement qu'en 1872. — XXe : 76.0 %. — XIe : 73,2 %. — XIXe : 69.6 %. — IIIe :   59.8   %.

 

(27) Dans le XVIIIe arr. respectivement (ouvriers et journaliers) : 49,4 et 11,4 % — Dans le XIe : 58,5 et 8,6 %. — Dans le XIXe : 37,7 et 29,0 %. — Dans lIIe : 37,1 et 5,5%.

 

(28) E. de Labédollière, Le Nouveau Paris, 1860 (XXe arr.).

(29) 50.317 ouvriers occupés dans le XIe arrondissement, pour une population en  1861 de 125.718 habitants). — 51.054 dans le IIIe pour 99.116 habitants.

 

(30) Pour tenter d'estimer le nombre des habitants qui trouvent du travail sur place, ainsi que l'importance moyenne des entreprises, nous avons choisi d'étudier une des rues les plus typiques de Belleville: la rue de la Mare. On y compte 503 électeurs, répartis entre les diverses professions dans des proportions qui sont assez proches de celles de l'ensemble du quartier : Métaux (y compris les serruriers) : 15,5%. — Bâtiment (y compris les menuisiers) : 9,5% — Arts et Métiers : 20,8%. — Commerces courants : 9,9%. — Journaliers : 4,1%. — Rentiers : 5,3%. — Employés : 8,1%. Or, d'après le cadastre de 1871, 62 seulement de ces électeurs (12,3%) sont établis dans cette rue comme artisans ou petits boutiquiers (au total 89 locaux industriels ou commerciaux tenus par des hommes, et 22 par des femmes). La proportion est assez faible. D'autre part, à l'exception des deux manufactures Fontenoy et Turlin, il s'agit de minimes entreprises, la plupart du temps individuelles: 4 mécaniciens, dont 2 à façon, 4 bijoutiers à façon, 3 peintres, 2 ferblantiers, 2 cordonniers à façon. 1 fabricant de cirage (3 ouvriers), 1 entrepreneur de plomberie, 1 ciseleur, 1 fabricant de conserves... et bien entendu les commerces courants : 17 marchands de vin, 9 épiciers et fruitiers. 5 logeurs, 3 boulangers...

 

(31) Xe arrondissement :  6,5 ; IIe : 6,0 ; XIe : 5,5 ; IIIe : 4,0

 

(32) Il nous faut préciser ici, et justifier, la classification professionnelle que nous avons adoptée, après beaucoup d'hésitations, nous fondant sur une très minutieuse étude de la  population ouvrière  parisienne dans son  ensemble :

i° Le but de cette étude étant tout autre que celui que visait M. L. Chevalier dans sa Formation, on ne s'étonnera pas que notre classification diffère sensiblement de la sienne. Nous voulions une étude sociale aussi précise que possible ; la classification des métiers devait donc être très souple, variant même, dans les rubriques utilisées, selon la physionomie propre de chaque quartier. Nous avons cherché en effet à faire apparaître avant tout quelle forme principale d'activité, et plus souvent quelle juxtaposition de formes diverses faisait l'originalité du quartier étudié; ainsi dans le cas de Belleville insistons-nous très particulièrement sur l'opposition des arts et métiers de type traditionnel et des métiers dans une certaine mesure plus modernes (métaux et bâtiment); mais il fallait en outre mettre en pleine lumière la très grande diversité des vieux métiers (et l'originalité de chacun) ; c'est pourquoi le groupe « arts et métiers » est lui-même décomposé et examiné dans le plus grand détail. Dans d'autres quartiers (à La Chapelle par exemple) cette étude poussée des métiers d’art n'a plus de raison d'être ; en revanche apparaissent des rubriques nouvelles jusque-là confondues dans un groupe « divers ». Ce dernier groupe, que nous avons toujours réduit au maximum, rassemble les activités qu'on ne peut considérer comme typiques du quartier.

2° Nous avons isolé les serruriers des métaux, les menuisiers du bâtiment, les ébénistes des métiers d'art. Cette précaution, qui nous a paru nécessaire permet néanmoins des comparaisons avec d'autres classifications : ainsi suffira-t-il d'additionner nos trois rubriques « Bois », « Menuisiers » et « Meuble » pour obtenir le groupe « Bois » de la Formation.

3° Du fait de l'incertitude qui plane sur bien des dénominations de la liste. nous avons peut-être démesurément enflé la catégorie « arts et métiers », y absorbant tous les métiers tant soit peu spécialisés, relevant d'autres branches : un ouvrier inscrit comme « doreur » peut être en effet doreur sur bois, sur métaux, sur cuir, sur tranche... Un polisseur peut l'être de bois ou d'acier. Il nous a semblé qu'étant donné la qualification de leur travail, on pouvait les rassembler  dans une rubrique  «  Divers Arts  ».

4° Nous souhaitons enfin que nos affirmations critiquables, soient aussi critiquées, pour qu'au terme de la discussion suscitée, les historiens de Paris parviennent à se mettre d'accord sur une classification unique. Ce que nous proposons ici  n'a que la valeur d'une hypothèse de travail.

 

(33) D'autres   listes, celles   du   IIIe   arrondissement    par   exemple, sont plus explicites.

 

(34) Et  par exemple une étude des structures  industrielles du XIe arrondissement, où  il  est   plus  que   probable  que  bon  nombre  d'ouvriers   bellevillois vont chercher du travail, menée à partir du cadastre. À côté des métiers d'art traditionnels, il y existe des entreprises métallurgiques de quelque importance déjà : 30, 50, quelquefois 100 ouvriers.

 

(35) Nous empruntons ces comparaisons à notre DES sur Les Elections du 26 mars  1871  à la Commune de Paris. 

 

(36) Cf. L. Chevalier, Formation, p. 186 sq., étude du quartier de la Roquette. Le XIe arrondissement est déjà au fond un quartier sensiblement excentrique, du moins intermédiaire entre le centre proprement dit et l'ancienne banlieue et qui présente beaucoup d'analogies avec Belleville.

 

(37) Les chiffres de 1851 (recensement de la population active) et de 1871 (liste électorale masculine), ne sauraient être exactement comparés. Une comparaison n'est possible qu'entre le recensement de 1851 et celui, bien lointain de 1886, nous la donnons à titre indicatif (pourcentages de la population active industrielle et commerciale).

 

Grande industrie

1851

1886

Objets en fer

1,3%

9,5%

Manufactures diverses

0,5

3

Petite industrie et commerce

 

 

Bâtiment, Ameublement

14,9

15,8

Vêtement, Toilette

41

37,9

Transports

8,1

5,9

Sciences, Lettres, Arts

8,9

4,9

Industries de luxe et plaisir

11,2

11,9

 

 

 

 

L'évolution est nette dans  le domaine  de  la grande  industrie, mais, au?fond, combien  lente !

 

(38) Les pourcentages calculés sur la population électorale (population masculine de plus de 21 ans) sont évidemment inférieurs à ceux que donnent les recensements. Manquent: les jeunes et les enfants, en grande majorité nés sur place. 45 % des conscrits du XXe arrondissement (âgés de 20 ans) sont, dans les armées 1865-1870, nés dans les limites de l'ancien  Paris.

(39) Quant aux provinciaux, ils sont issus principalement (pourcentages cal culés sur l'ensemble des électeurs d'origine provinciale et non sur la totalité des électeurs) :

 

De  la   région  parisienne

Belleville

Saint-Fargeau

Combat

Seine et Oise

5,1 %

5,5 %

4,7 %

Seine et Marne

5,9 %

5,2  %

4,2  %

Oise

2,7 %

3,6 %

3,1  %

Aisne

2,7 %

4  %

3,8 %

Yonne

1,7%

3,1%

2,3Ù

Des départements du Nord

 

 

 

Somme

2,5%

2,4%

3,5%

Nord

2,4%

2,7%

3,1%

Pas-de-Calais

1,4%

2,2%

1,6%

Des départements de l'Est et surtout lorrains

Moselle

3,1%

4,9%

10,5%

Meurthe

1,5%

3,9%

3,4%

Meuse

1,8%

2,4%

2,5%

 

Aucune région ne fournit de colonie provinciale vraiment notable, sauf dans Combat les départements lorrains (et peut-être à Belleville le quartier de la Loire - 0,96 % - mais qui fournit presque exclusivement des passementiers). On remarquera d'autre part combien la carte de l'origine provinciale des électeurs est proche encore de la carte dressée pour la population du vieux Paris à partir de l'origine provinciale des décédés en 1833. Cf. Formation, p. 165, le recrutement provincial de Belleville est de type ancien.

 

(40) Arch.  de la Seine, série DR 1.

 

41) Quelques nuances cependant doivent être apportées à ce tableau : les métiers du textile et du vêtement, considérés ici comme plutôt traditionnels, ne recrutent guère de Parisiens : passementiers 19 % de Parisiens à Belleville, mais 24 % d'électeurs originaires du département de la Loire (47 électeurs sur 193), cordonniers 16 % de Parisiens, mais 15 % de Lorrains. Notons encore : ébénistes 29 % seulement de Parisiens à Belleville et dans Combat. En revanche. 47 % des peintres en bâtiment de Belleville sont parisiens, et 38,7 % dans Combat.

(42) Carnot gagne évidemment partout des voix au second tour : il groupe sur sa personne les voix dispersées au premier sur les autres candidats.

 

(43) À une seule exception : Père-Lachaise et surtout sa 20e section où la stabilité est remarquable : mais c'est aussi dans Père-Lachaise (proche de l'industriel Charonne) que nous dénombrons le plus d'ouvriers des métaux (13,1%) et du bâtiment (8,3%), en même temps aussi que les plus faibles proportions d'employés (3,9%) et de membres des professions libérales (1 %).

 

(44) Il resterait à montrer pourquoi (et si vraiment) le vieil ouvrier du faubourg Saint-Antoine a perdu de son ardeur révolutionnaire.

45) Louis Lazare : Les Quartiers de l'Est de Paris, p.  114.

 

(46) En revanche, à Belleville, lors de toutes les épidémies, on est mort très peu du choléra.  Une autre maladie atteint maintenant les misérables.

 

(47) Et   tous   les   métiers   mènent également   à   l'indigence, comme?montrer la  répartition  professionnelle  des chefs de famille indigents (hommes)

 

 

1863

1866

1869

Métaux.   Serruriers

13,9%

13,6%

13,5%

Bâtiment.  Menuisiers

11,4%

15,0%

17,9 %

Bois

3,4 %

3,2 %

2,9%

Métiers  d'art

15,7 %

21,3 %

19,2%

Textile

7,6 %

8,1%

6,2%

Chaussure.  Vêtement

9.3 %

10,2 %

8,9%

Divers.   Industrie

 2,3 %

 4,9 %

8,8%

Journaliers.  Salariés  divers

25,5 %

12,7 %

16,1%

(48) Gazette des Tribunaux du  13 octobre  1869.

 

(49) Gazette des Tribunaux du 15 juin 1869.

 

(50) Cf. Encore G. Duveau, Histoire du Peuple Français, T. IV. Planche 6 : un immeuble parisien en 1850, gravure sur bois de Bertall.

 

(51) Molinari, Le Mouvement  Socialiste..., p. 87.

 

(52) Le 26 mars, aux élections pour la Commune, le XXe arrondissement s'affirme nettement comme le plus enthousiaste : moindre chiffre d'abstentions qu'ailleurs, énorme  majorité  aux  candidats révolutionnaires.

 

(53) C'est peut-être dès lors la bourgeoisie qui a le plus changé pendant l'Empire (comme le montrerait son souci de s'isoler des classes dangereuses dans la capitale), non le prolétariat : à ce dernier, c'est avant tout la surprenante expérience de la Commune qui enseignera — à long terme — des nouveautés idéologiques. On pourrait dire que ce n'est pas une idéologie nouvelle qui  fait la Commune, mais la Commune qui fait l'idéologie nouvelle.

 







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