Le mouvement associatif de la Révolution ...

 
Le mouvement associatif populaire comme facteur d'acculturation politique à Paris de la Révolution aux années 1840. Continuité, discontinuités
 
Annales historique de la Révolution française, 1994, n° 297 p. 493-516
 
Je ne prétends pas apporter ici de choses vraiment originales. Chacun reconnaîtra les emprunts, considérables, que j'ai pu faire à tel, bien meilleur spécialiste que moi.[1] Et je ne traiterai que de Paris, trop peu connu, probablement un cas exceptionnel, limite (moins sans doute d'ailleurs que Lyon).
 
J'ai toujours eu, je dois l'avouer, l'ayant accepté dès le départ comme chacun comme une lumineuse hypothèse, bien de la difficulté à manier le concept de sociabilité. On reconnaîtra qu'il est flou, depuis surtout qu'on a trop largement étendu, ce qui a contribué à l'obscurcir. Je me rapproche ici volontiers de Daniel Roche qui reprend la stricte définition d'Agulhon de 1968 : « La sociabilité [...] définie comme l'aptitude des hommes à vivre intensément des relations publiques. » L’« étude des comportements associatifs volontaires » doit déboucher sur « la manière dont ils peuvent engendrer une dimension politique neuve ». J'ai donc préféré dire ici dire mouvement associatif populaire, entendant par ailleurs par peuple la « classe estimable et laborieuse des ouvriers », pour reprendre le mot de Bailly ; ce que les historiens anglais désignent du terme de « respectable artisan ».
On verra la méfiance qui est la mienne pour ce qui me paraît  n'être souvent que des généralités   plates, qu'on dit sur la rue ou le cabaret. Arlette Farge a écrit sur le « cours ordinaire des choses » de bien jolies broderies. Ce cours ordinaire ne me passionne guère, et ne m'intéressera pas ici. J'exagère bien sûr, mais ne faut-il pas que quelque chose sorte tant soit peu de l'ordinaire pour qu'il y ait lieu d'en faire l'histoire ? Quand  les 5 et 8 mars 1848 la corporation des menuisiers se réunit, c'est « non pour le plaisir d'être ensemble, mais seulement pour réclamer nos droits ».
 
Continuité, discontinuité, mon titre est à coup sûr médiocre. J'entends qu'il y a ici matière à tisser un lien qui, pour des raisons sans doute de coupures très universitaires, n'est que rarement fait entre XVIIIe siècle, Révolution, et début du XIXe siècle. À tenter également une périodisation : je ne veux pas dire par discontinuité  « mutations » brusques, mais qu'il y a eu des moments forts qui ont, à l'occasion de sauts chronologiques, révélé des changements qui étaient en voie de se faire en profondeur.  La Révolution elle-même : les années 1820, grande époque de formation des mutuelles ouvrières ; 1830-1834, courte mais forte période de liberté, puis 1840, temps de grandes grèves. 1848, quand, comme le dit Martin Nadaud, d'ailleurs excessivement : « L'ouvrier se découvrait une volonté et entendait ne plus subir passivement » : la découverte avait été en fait bien antérieure.
La seule continuité qu'on puisse, je crois, établir clairement, est celles des sociétés de secours mutuels, plus généralement des sociétés ouvrières sous toutes formes diverses que peut prendre leur « mutualité » (mot qui n'existe pas encore). Je ne crois pas au « trou noir » après la loi Le Chapelier. [2] Comme Sieyès, probablement, les sociétés ouvrières ont « vécu ».
Ce que je soulignerai en revanche, c'est, du moins me semble-t-il, l'échec des autres formes, tout particulièrement les politiques, celles des clubs ou des Sociétés populaires de la Révolution en dépit de leur importance aujourd'hui soulignée. Je ne vois que le patriote Palloy dont je puisse affirmer que, par lui et sa fille, s'établit une continuité du sans-culotte aux républicains des sociétés politiques des années 1830-1840. Il n'y a pas continuité entre la Société des Droits de l'Homme de 1832-1834 et les clubs de 1848, sauf par quelques hommes. En 1848 tout le monde note l'oubli de club, mot qu'on ne sait même plus comment prononcer, comme le rappelle Maxime  Du Camp.[3] Le club est « momentané », il ne me paraît pas laisser d'empreinte durable. L'idée sans doute sera trouvée discutable.
 
Je tenterai de déboucher sur le problème de l'acculturation politique ;  portant attention ici à une sociabilité « horizontale », égalitaire, « démocratique ». Il de devrait plus y avoir aujourd'hui de coupure entre le social et le politique, et le mouvement associatif populaire dont je parle me paraît bien conduire directement à un comportement politique. Maurice Agulhon, parle volontiers de « descente de la politique vers les masses » : cela m'a toujours un peu choqué. N'y a-t-il pas aussi bien et en même temps montée des masses vers la politique ? 
 
Formes élémentaires
 
Je n'établis pas ici une hiérarchie ; je m'efforce seulement de dresser catalogue de ce qu'il m'est loisible ici d'envisager.
ll y a certes d'abord une sociabilité élémentaire, diffuse, et traditionnelle. Sociabilité donc du « cours ordinaire des choses », de maison, de rue, de quartier ou mieux de voisinage. Cette sociabilité, réelle mais banale, on ne l'observe « activement » qu'en temps exceptionnels, quand par exemple les habitants d'une même rue se mettent à édifier des barricades. Les lieux de sociabilité populaire parisienne de toute façon sont innombrables : la Bastille, le Temple, la Pointe Saint-Eustache, la place du Trône (avec ses fêtes à la barrière), les boulevards du Nord (et pas seulement le boulevard du Crime) les Portes Saint-Denis et Saint-Martin... Mais que se passe-t-il d'autre, dans ces sortes directes, naturelles de sociabilités, qu'une vie toute banale ? Place de la Bastille : [4]


« Assis autour de la colonne, sur le rebord de pierre, les ouvriers prennent l'air, la journée finie, lisent, cau­sent. Des soldats montrent leur culotte rouge, des voltigeurs leurs épaulettes jaunes, parmi ces blouses bleues. Il fait chaud, il fait bon. Un marchand de chansons, monté sur un tabouret, entouré de monde, chante ses cahiers en s'accompagnant de la guitare. On entend le cliquetis d'une sonnette, puis: A la fraîche, qui veut boire ? çà et là aussi un escamoteur, le dernier des escamoteurs ! Partez muscade ! Tout cela à la fois paisible et fourmillant de gens, de garçons, de filles en bonnet ou têtes nues. C'est la promenade des faubouriens de Saint-Antoine. »


Il y a naturellement le lieu par excellence de rencontre, le café, le cabaret, la guinguette. Aurai-je fait beaucoup avancer les choses si je décompte après d'autres 3.000 cabarets (ou 4.300 ?) à Paris en 1789, que je comparerai à 4.408 marchands de vins  cabaretiers, 753 limonadiers et maîtres d'estaminets, 94 débitants d'eau-de-vie, 725 marchands de liqueurs, 1.255 gargotiers en 1853 ? Rappeler leur rôle est tellement classique que je n'en parlerai guère. On y boit, on y peut boire immodérément. On y cause bien sûr, de tout et de politique. Il en est de multiples exemples, ceux que donne Canler dans ses Mémoires sous la Restauration. Vers 1833 des ouvriers parisiens, notamment du bâtiment, se retrouvent au café Momus. [5]


« Le chef de cet établissement était un vieux soldat qui sortait de la Garde impériale, le brave Bulot. Il adorait son maître, le lion des grandes batailles, qui avait passionné les hommes de sa génération. Cette maison était devenue un lieu de rendez-vous pour les vrais patriotes ; bonapartistes et républicains y fraternisaient ensemble. » [...] « Ce souffle révolutionnaire que nous respirions au café Momus nous empêchait de perdre l'espoir de voir un jours la réalisation de notre rêve, c'est-à-dire l'avènement de la République. »
Mais enfin il ne s'agit là que de lieu, de réceptacle, non de forme de sociabilité  « créatrice ».
 
Je ne dirai presque rien du bal populaire récemment étudié. [6] F. Gasnault le note fort bien. C'est là une forme de sociabilité qui n'est « démocratique (qu'en) en apparence, [...] au fond plus exclusive que les salons du noble faubourg. Jusques aux chiffonniers qui, par droit de conquête, se sont réservé d'inabordables sanctuaires à la barrière du Maine. » Il y a les bals de maçons, de charpentiers (compagnonniques), de domestiques, d'Auvergnats, d'étudiants, de militaires. [...] Au bal de la rue de Paradis au Marais, « on (ne) reçoit que des petits maîtres peu aisés qui aiment à se réunir avec leurs femmes et leurs enfants, tels que maîtres maçons.... Ce bal n'est pas ouvert à tout le monde. » Le bal de toute façon n'est à l'évidence guère propice aux confidences politiques, sauf conditions exceptionnelles. En mai 1831, à l'Élysée des Dames, barrière Montparnasse, on crie tous les dimanches : A bas Louis-Philippe, Vive la République.
Je n'évoquerai guère non plus ce qu'on ne peut appeler qu'improprement un certain « folklore » parisien. Du charivari, qui dès le XVIIIe siècle paraît exceptionnel, je vois un exemple encore, celui que des jeunes fondeurs de cuivre en 1832 font à un contremaître détesté ; mais il est lié à une grève. Le Carnaval, supprimé par la Révolution, réapparaît en 1799, et connaît, momentanément, au lendemain de 1830, un regain de faveur. Populaire bien sûr la descente de la Courtille, qui partait de chez Papa Desnoyer : « Des menuisiers, des cordonniers, des marchands, des commis, des étudiants, toutes espèces de gens, mêlant et confondant les conditions et ne connaissant plus aucune distance. » Mais c'était aussi le festival de Milord l'Arsouille et des bourgeois encanaillés. Le regain apparaît factice, et très vite, les Carnavals deviennent des entreprises financières qui n'ont rien de spontanément populaire, si jamais cela a été le cas. L'intéressant me semble ici la fin d'une certaine vulgarité populaire, comme diraient les ouvriers moralistes du journal L'Atelier, le développement dans le peuple d'une vertu de « décence », et le déclin de la  violence populaire. Les combats d'animaux de la barrière du Combat s'interrompent en 1833. Irait-on vers un comportement plus « humanisé » des classes que le préfet Gisquet appelait non pas dangereuses, mais « sauvages » ?
 
Une nouveauté incontestable intervient dans le domaine de la sociabilité de cabaret : la goguette. Forme d'imitation, qui tire à l'évidence son origine les sociétés chantantes ou épicuriennes du XVIIIe siècle, avec quelque apport, dit-on, des chansons de travail ou à boire, et des airs de vaudeville à la mode.


« C'est dans le courant de 1817 qu'on vit apparaître les premiers goguettiers. [...] Comme au temps des mazarinades, le peuple se consolait et se vengeait en chantant. Durant les premiers jours, ce fut dans l'ombre et à l'écart, le plus loin possible de messieurs de la police, que l'on chanta ; mais peu à peu le besoin de se réunir se fit sentir plus vivement; on essaya quelques petits festins à la barrière. Les souvenirs de la société du Caveau tourmentaient d'ailleurs les chansonniers du peuple, les épicuriens en veste et en blouse, et les goguettes furent organisées. Dès l'année 1818 le nombre de ces réunions était incalculable... » [7]
Il y en aurait 300 en 1818, près de 500 en 1836 ; selon Larousse, on en trouvait en 1840 « dans presque chacune des  rues ». Leur rôle politique a été aisément, peut-être trop aisément affirmé. On a peu de sources, et ce sont toujours les mêmes. On songe en fait surtout, s'agissant des goguettes, des goguettiers et de chanson (politique ou politisante), à des exemples extrêmes. Béranger n'a rien d'un goguettier populaire, et guère plus Debraux, si leurs chansons, celles de Debraux surtout, sont en effet reprises par le peuple. Avec des goguettiers qui sont déjà des poètes chansonniers, Lachambeaudie, Charles Vincent, Gustave Leroy, Charles Gille (des Animaux), Hégésippe Moreau (des Infernaux), Brazier (des Enfants de la Gloire), est-on bien encore au niveau d'une sociabilité populaire ? Retenons pourtant que Vinçard aîné attribue aux goguettes un rôle d'école politique du Peuple, et cela a été sûrement vrai, du moins pour la période de la Restauration: [8]
« Si critiquées, si ridiculisées depuis, il faut pourtant reconnaître qu'elles étaient, à cette époque, des écoles puissantes d'enseignement patriotique. C'est dans ces réunions que les ouvriers de Paris allaient puiser l'amour de nos gloires nationales et des libertés publiques. C'est dans les belles épopées de Béranger que le peuple retrempa ce courage héroïque qui lui fit accomplir en trois jours cette Révolution providentielle de 1830, portant le dernier coup à ce vieil attirail de monarchie par droit de naissance. Si l'on réfléchit aux conséquences qui devaient en résulter, on constatera que c'était bien la première étape de la marche progressive de l'intelligence populaire…  »
Vinçard met fortement en lumière le thème qui devient alors commun de l'isolement  du prolétaire, qu'il faut rompre. Seul, il est perdu, il ne se sauvera qu'avec les siens, par « l'association »


« En effet, si l'on considère l’isolement dans lequel vit l'homme du peuple, sans guide, sans protection, perdu dans la foule au milieu de passions et d'intérêts si contraires, dans cette confusion de luxe insolent et de misères poignantes, de bigoterie et d'irréligion, des despotisme absurde, de folle indépendance, et par-dessus tout d'égoïsme général, en considérant dis-je cet isolement, on verra cet homme du peuple, vivant ignoré de tous, comme il s'ignore soi-même; or, ce n'est qu'au contact de natures d'élite, douées de puissance attractive et de mérites supérieurs, que l'adulte peut sentir sa vocation, apprécier ses tendances naturelles, acquérir enfin la connaissance des autres et de lui-même. »
Ce qu'on observe ici, c'est bien la « descente » de la culture littéraire et de la politique vers les masses. Ce que je ne nie nullement ; cela seulement ne me semble pas suffisant. Notons encore en ce sens que Nerval (qui fut des Enfants de Syracuse) aperçoit, dans le cas d'une goguette qu'il visite, des influences symbolico-maçonniques. On y entrait par une porte « surmontée d'une équerre dorée » :
« Êtes-vous du bâtiment ? [...] Ils se firent les attouchements obligés, et nous pûmes entrer dans la salle. Le bureau, drapé de rouge, était occupé par trois commissaires fort majestueux. Chacun avait devant soi sa sonnette, et le président frappa trois coups avec le marteau consacré. La Mère des compagnons était assise au pied du bureau. »  [9]

La plupart du temps, les noms que se donnent les goguettes sont insignifiants, s'ils se veulent populaires : Animaux, Gamins, Lapins, Oiseaux, Insectes, Lutins, Ménestrels, Sans Souci, Écureuils, Gamins de Paris, Triboulets, Francs-Gaillards, Francs-Canonniers; ou bien ils n'évoquent qu'une vie joyeuse : Braillards, Bons Diables, Bons vivants, Bons Enfants, Enfants de la Halle, et, cela va de soi, Enfants, Soutiens de Momus... L'imitation sociale conduit à quelque prétention pédante :  Bergers de Syracuse, Athénée, Institut, Cercle lyrique, Épicuriens, Fils d'Anacréon, Enfants de la Lyre, d'Apollon, Lice chansonnière; mais cette dernière se transforme en 1835 en « Amis de la Vigne ».
Des noms bien sûr évoquent la « gloire » napoléonienne : Amis de la Gloire, Grognards, Vrais Français… Et certes la « vertu d'amitié » (je vais insister sur les vertus de sociabilité populaire) y  est cultivée tout particulièrement : Amis, Joyeux Amis, Amis de l'Étoile, de la Chanson, de la Pipe, des Arts, du Progrès, du Siècle... Mais enfin aussi (probablement surtout) Amis de l'entonnoir, Enfants de l'Entonnoir, Nourrissons de Bacchus et  Soutiens de Silène...
Les ouvriers du journal L'Atelier, d'un grand moralisme, parce qu'ils sont catholiques buchéziens, mais aussi et d'abord parce qu'ils sont républicains, sont aussi hostiles, et violemment, aux goguettes qu'aux chansons populaires dévoyées, morigénant le « cynisme des mélomanes de la place publique ». Le journal souligne qu'il y a eu évolution, dans le sens d'une dégradation. La goguette et ses chansons n'auraient eu d'intérêt politique au mieux  que jusqu'au lendemain de 1830.
« La chanson politique eut un instant d'ébullition ; ce fut dans les premières années qui suivirent la révolution de Juillet. [ …] Cette fièvre qui bouillonnait dans toutes les têtes, qui passionnait tous les esprits, qui se traduisait sur la place publique par une polémique à main armée, se formulait dans les goguettes par des chants parmi lesquels, si nos souvenirs sont exacts, nous pourrions en signaler de remarquables. Mais depuis que, grâce à la salutaire émancipation qui s'est opérée dans l'intelligence des masses, à l'argument violent du sabre et du fusil a succédé l'argumentation calme et plus efficace de la discussion, la chanson politique, d'exaltée qu'elle était, s'est bizarrement métamorphosée en complaintes qu'on pourrait croire sorties de la rue de Jérusalem... »  
« Foin de la politique
Pour faire une chanson,
Ma muse, sans façon,
Prend un refrain bachique :
Des flacons vivent les glouglous,
Des belles les baisers si doux... »
« Comme oh le voit, la chanson politique consiste à ne l'être pas. »
« Selon L'Atelier  encore, il y a même des goguettes  aux chansons  franchement « réactionnaires ».
« Voici en quels termes certains poètes de goguettes appréciaient les hommes de notre première Révolution:
Par la pensée en remontant l'histoire,
Reportons-nous aux temps de la Terreur,
Où les tribuns, d'odieuse mémoire
D'un peuple entier stimulaient la fureur. »
 
Je ne nie en cela nullement l'importance, dans cette première moitié du XIXe siècle, du développement (depuis Wilhelm) d'une culture musicale populaire : chanter ensemble est un loisir précieux; qui « élève l'âme », où l'on cultive le « beau inutile » ; mais il s'agit alors d'une culture toute classique, celle que l'homme du peuple trouve dans les orphéons, de plus en plus nombreux après 1840.
 
Formes instituées, institutionnalisées
 
Par mouvement associatif populaire, j'entendrai de préférence des formes instituées, élaborées d'association ou de mutualité. Et c'est le métier qui est ici essentiel.
J'évoque pourtant d'un mot la franc-maçonnerie. On sait la difficulté qu'il y a à repérer dans les loges une présence ouvrière ou populaire. Je trouve dans la Société des Droits de l'Homme vingt-trois ouvriers, souvent chefs ou quinturions de sections : sept bijoutiers, deux ouvriers en peignes, trois peintres en bâtiments et décors : ils sont membres des loges Amis de la Liberté, Loge des Trois Jours, Union de Juillet. Rémi Gossez a noté également la présence parmi les insurgés de Juin 1848 d'ouvriers francs-maçons, curieusement surtout dans les loges de banlieue. Il conviendrait aussi de rappeler l'importance de la brève sociabilité populaire organisée autour du saint-simonisme, qui restera longtemps dans le siècle « la famille », rappelée et remarquablement décrite par Jacques Rancière. L'histoire en fut courte, mais la marque en fut profonde.

Le métier tout de même reste essentiel. Et ici il faudrait en réalité commencer par de l'informel. Cabales, coalitions, grèves, formes immédiates de sociabilité en apparence, mais qui font supposer une association plus élaborée ou la suscitent.
Il est aussi bien des sortes spontanées d'association « culturelle ». « Moyen qu'emploient les ouvriers pour lire une Voix de prison  dont le prix est de quinze sous. On se réunit quinze, on donne chacun un sou, et on tire au sort à qui lira le premier, le second, etc... ». [10] Ou encore : « Des ouvriers se sont réunis au nombre de vingt, trente ou quarante pour former soit des souscriptions à 20 francs, soit des abonnements à 4 et 7 francs. Des compagnies de garde nationale, tant de Paris que des départe­ments, ont souscrit à notre journal. » [11]
Des cabales ou des grèves (nouveau mot du début du siècle), on peut faire désormais une recension sérieuse depuis le XVIIIe siècle jusqu'à 1848, non exhaustive, mais qui situe les moments forts et les métiers concernés. Apparaissent toujours les mêmes professions, au premier chef les chapeliers, les plus turbulents, les ouvriers du livre, les ouvriers du bâtiment et, de façon éclatante, les charpentiers....
Une importante nouveauté me paraît se produire en 1830-1834 : l'élargissement de la grève à une profession entière, et ce dans plusieurs cas : tailleurs, cordonniers, ouvriers en papiers peints, ébénistes et menuisiers, fondeurs en cuivre... Derrière ce mouvement, bien sûr, des sociétés en voie de constitution : j'en recense vingt-trois qui se créent de 1831 à 1834 dans un but de résistance autant que de secours.
Les compagnonnages, ces « académies de la classe ouvrière » ont sans doute été momentanément « neutralisés », selon le mot de Réal, pendant la Révolution. Se reconstituant au début du XIXe siècle, ils semblent se structurer davantage, se donnent des statuts précis et écrits : ils subissent fortement (au moins pour le Devoir de Liberté qui apparaît à ce moment, se substituant aux « gavots » non du Devoir) »   l'influence de la franc-maçonnerie, lui empruntant ses formulaires. En 1803, lors de la  révision des statuts du Devoir de Liberté des menuisiers, on introduit un troisième ordre des « initiés », importé visiblement de la maçonnerie.[12]  En 1807-1808, les cordonniers se reforment après une longue absence [13] ; c'est d'ailleurs l'occasion d'une scission des jeunes à Bordeaux, les « margageats ». En 1810 réapparaissent les boulangers. En 1811 les charpentiers de Paris refont leur règlement.
Cette restructuration, tout en prônant la réconciliation de tous les corps et l'interdiction des rixes, peut apparaître comme un renforcement des traits archaïques, du « mysticisme barbare (si) nuisible à la classe ouvrière », comme dit L'Atelier. Au Congrès compagnonnique de Bordeaux, novembre 1821,
« Les charpentiers prétendaient, ce qu'ils ont toujours prétendu, être les plus anciens et exister depuis la fondation du temple de Salomon; les chapeliers, qui ont depuis plusieurs siècles passé pour les premiers, les tailleurs de pierre pour les seconds, et les corroyeurs pour les quatrièmes, demandaient qu'on oubliât toutes ces primautés et que tous les compagnons des divers corps d'état fussent égaux; mais les charpentiers persistèrent et la réunion se sépara. »
J'appuierai surtout mon argumentation sur les Sociétés de secours mutuels : « Sociétés vraiment fraternelles »,omme les définit en 1806 la Société Philanthropique, « où, par une sorte de pacte de famille, des individus d'une même classe s'assurent mutuellement des ressources contre le malheur et la vieillesse. » [14] Tout recensement n'en saurait être qu'incomplet et imparfait. On ne connaît pas toutes les sociétés. Beaucoup sont de courte vie ou avortent. Il faudrait pouvoir compter quantité d'associations de type « informel », occultes, passagères. Existent des sociétés d'un même atelier, non dénombrables, en attendant les sociétés de quartier qui ne me paraissent pas exister avant la seconde moitié du siècle. Certaines loges maçonniques accordent des secours. En 1848 des compagnies de la garde nationale ont créé des sociétés mutuelles.
De la confrérie du XVIIIe siècle à la société mutuelle, il y a, on le sait assez maintenant, continuité. Y a-t-il eu nouveauté avec la Révolution ? Elle est d'abord quantitative. M. Sonenscher n'a retrouvé la trace que de 45 confréries au plus dans la seconde moitié du XVIIe et le XVIIIe siècle. C'est compter bien sûr sans les groupements informels. Le rapport de la Société Philanthropique de 1821 mentionne 13 sociétés existantes avant 1792 ; [15]  en 1799, 16 existent à Paris, dont 5 fondées depuis 1794. Puis l'avancée est considérable, dès l'Empire : 47 sociétés se forment de 1800 à 1815. Nouveauté n'est d’ailleurs pas le mot exact ; il s'agirait plutôt de « révélation » ou d’« accomplissement ». En 1822 la Société Philanthropique recense 159 sociétés avec 12.604 adhérents. En 1825 la Société de la Morale Chrétienne en repère 181 avec 16.856 membres. On en connaît 201 en 1830, 232 en 1840, avec 16 à 17.000 sociétaires ; en 1846 262 selon Hubbard, dont les 4/7 professionnelles, groupant 22.695 membres, possédant toutes ensemble un capital de 3.610.619 francs.[16] En 1851, avant la grande récupération par le pouvoir impérial, on en recense 341, avec 43.874 membres.
Est-ce beaucoup, est-ce peu ? En 1825, cela représente sans doute de 10 à 15% de la population ouvrière masculine active sédentaire, seule concernée ; ce qui, par comparaison avec d'autres périodes, me semble une forte proportion. En 1851 c'est presque 20%. La situation est extrêmement variable selon les métiers. Sur les 181 sociétés de secours de 1825, le livre en compte 43 avec 3.728 membres (il y a quelque 4.000 ouvriers du livre), les chapeliers 7 et 1.364 membres (sur probablement environ 2.000 ouvriers). Les cordonniers ne sont que 359, en quatre sociétés ; mais ils ont un compagnonnage, dont le rôle est d'ailleurs mal connu. En revanche les tailleurs (qui ne sont pas non plus compagnons) n'en ont alors qu'une une : La Prévoyance perpétuelle, fondée en 1823 en par 151 ouvriers tailleurs ; elle a 127 membres en 1826. Soulignons en passant les liens des sociétés de Secours mutuels avec la Maçonnerie : Hospitaliers de la Palestine, une Société de secours de la Loge des Vrais experts (dans le Livre). En 1840, le siège de beaucoup de sociétés est au Prado ou surtout au 45 rue de Grenelle Saint-Honoré, qui sont ou ont été des sièges maçonniques.
Il existe un rapport évident de complémentarité entre sociétés de secours mutuel et compagnonnage, avec une espèce de répartition du travail entre les deux : les premières pour les anciens du compagnonnages sédentarisés, le second pour les jeunes non encore fixés. La Société des anciens compagnons cordonniers-bottiers de la Ville de Paris ayant « remercié » le compagnonnage se fonde en 1835. La Société Philanthropique du Souvenir des couvreurs de Paris, constituée en 1840, formée elle aussi d’anciens compagnons, conserve de surcroît les rites, le chef-d’œuvre, les rubans et bijoux, la fête de la Sainte Trinité. En 1831 les compagnons chapeliers fouleurs rejoignent en masse la Bourse auxiliaire  dont ils doublent momentanément les effectifs. La Société de Secours mutuels des Charpentiers réunis (Pinochons, du nom du principal initiateur de la Société, La Pinoche) de 1837 est composée de « renards », et exclut  les compagnons.
Les compagnonnages entrent en crise. L'événement principal est la création de la Société de l'Union, à Toulon à la Noël 1832, d'abord chez les aspirants serruriers du Devoir, puis son lent mais sûr développement.[17] Le mouvement se propage à Lyon, Marseille, Bordeaux, Toulouse ; il atteint Paris au début des années 1840. L'Union tient congrès fondateur final à Paris en 1844, sous la direction de Gosset, avec des délégués des menuisiers ébénistes, des forgerons et charrons, des tanneurs et corroyeurs, des bourreliers-selliers, et des Quatre Corps. Significativement, le titre définitif que prend la société est : Société de Bienfaisance et de secours mutuels de l'Union.
Cette révolte de « la jeunesse intelligente et à la hauteur du siècle », comme les tentatives de « régénération » menées par Moreau, Gosset, Perdiguier, se fait clairement au nom des principes de la Révolution. En 1827 à Marseille, le schisme des aspirants cordonniers, qui se propage bientôt de ville en ville, se place sous le patronage de Guillaume Tell. « La Révolution avait proclamé l'égalité de tous les citoyens et l'esprit moderne ne comprenait plus ces usages. » [...] « Formons une société universelle pour tous les corps avec l'égalité pour principe... » [18]
" Ô mes camarades, nous vivons dans un siècle avancé, sachons le comprendre. [...] Le progrès étant dans les lois de la Nature, nous devons nous dépouiller de nos erreurs et de nos vices. [...] Invoquons la justice, l'amour, la fraternité. Nous sommes enfants d'un père commun, nous devons vivres tous en frères. La liberté, l'égalité doivent se combiner et régner de concert dans la grande fa­mille humaine. " [19]
 
Existe-t-il une sociabilité qui soit de l'ordre du religieux ? David Garrioch en notait sinon l'inexistence (les confréries), du moins le peu d'importance dans le Paris du XVIIIe ; ceci se vérifie encore au XIXe siècle. On sait le peuple de Paris peu religieux, que les paroisses sont trop grandes pour y constituer un encadrement efficace, déficient de surcroît depuis la Révolution. Et que lorsqu'il y a tentative d'encadrement religieux, elle est « réactionnaire » : ainsi en 1840 de la tentative de « récupération » par les « jésuites » de la Société de Saint-François-Xavier et l'abbé Ledreuille, « Père des Ouvriers », du mouvement de secours mutuels. [20] « Qui donc nous délivrera du Père des ouvriers ? », gémissent les ouvriers de L'Atelier  en juin 1844.
À Paris, à l'été 1852, ne portent un nom de saint que 45 sociétés sur 232 pour les sociétés antérieures à février 1848, et 9 sur 115 pour les postérieures. Ceci, on le sait, n'a guère de signification. Les messes étaient encore habituelles sous la Restauration : approprieurs-chapeliers à Saint-Merry, pour la Saint Jacques; ouvriers tapissiers à Saint-Thomas d'Aquin en l'honneur de Saint-François d'Assise; à Saint-Sulpice carriers, maçons, tailleurs et scieurs de pierre, couvreurs réunis; des tailleurs; les ouvriers mégissiers ont leur « messe de confrérie » paroisse Saint-Médard. Ceci était lié d'ailleurs à un légitimisme qui n'est probablement pas seulement de façade. Le 13 octobre 1823 « on a célébré un Te Deum à l'occasion de la guerre d'Espagne. Les charbonniers, au nombre de plus de mille s'étaient réunis pour porter en triomphe le buste de SAR Monseigneur d'abord au Château et ensuite à l'arc de triomphe de l'Étoile. » Le 15 décembre 1823, banquet de 300 couverts des ouvriers des ports « pour y célébrer le retour de SAR Monseigneur le duc d'Angoulême et le triomphe de ses armes... Joie que déjà ils laissent éclater et bon esprit. » [21]
Un signe clair en revanche : la mutuelle des Chapeliers de 1818, dite des Cent-Vingt, à sa fondation « pieuse d’intention et d’action, [...] se place sous l’invocation de Saint Guillaume et sous la protection paternelle du gouvernement, auquel elle jure fidélité et obéissance » ; en 1829 elle fait disparaître l'obligation de la messe de ses statuts.  Notons cependant (ce n'est pas contradictoire) que les ouvriers organisés en secours mutuels iront volontiers, au début des années 1830, vers une église « de gauche », de progrès, l'Église catholique française.
« Les ouvriers de la capitale semblent avoir adopté l'Église française. M. l'abbé Châtel a célébré à son église de la rue du Faubourg Saint-Martin les fêtes des tailleurs de pierre, des charrons, des forgerons et des cordonniers. Les boulangers qui avaient  donné l'exemple se réunissent de nouveau, lundi prochain 16 décembre à l'église primatiale... pour célébrer une seconde fois la Saint Honoré, leur fête... » [22]
 Mais l'Église française ne sera que de peu de durée et ne saura être un substitut suffisant.
 
Montée  vers la politique
 
J'entends bien ne pas faire ici de l'histoire politique. Seulement rechercher les valeurs, les « vertus » populaires de « socialité » qui peuvent conduire. à la démocratie, en l'occurrence la démocratie républicaine.
Maurice Agulhon, pour une France provençale, provinciale aussi, évoque le passage en somme obligé par l'étape intermédiaire d'un patronage démocratique, celui  du « Père des ouvriers ». Sans nier les relations culturelles de classes à classes, supérieure et inférieures, il me paraît que ce patronage n'a guère  existé à Paris. Très vite s'est dégagée une élite populaire, de notabilités ouvrières. La masse bien sûr est apparemment indifférente, inerte, avant l'explosion/révélation de 1848.
Je crois au mûrissement indépendant de ce que j'oserai appeler une éthique populaire collective démocratique. Éthique, morale : la devise du premier Populaire (de 1833, qu'on ignore trop), de celui que les ouvriers appellent volontiers «le Père » ou « Papa » Cabet, qui n'est pas un père des ouvriers mais un « ami du peuple » est « Moralité, Liberté, Égalité ». Pour Ott (De L'Association)  « La morale est la foi des hommes dévoués ». « Le compagnonnage proprement dit est une association morale et fraternelle ». « Ces institutions (les sociétés compagnonniques) toutes démocratiques enseignent la vertu, l'humanité et la fraternité... » [23] Notons que pour Cabet, l'action ouvrière immédiate conduit comme naturellement au politique :
« Les ouvriers menuisiers de Saint-Antoine font de la République. [...] Des ouvriers se réunissent s'associant pour défendre leurs intérêts communs, discutant, délibérant, éli­sant un président pour diriger leurs délibérations et une commission pour agir en leur nom, écoutant les conseils des mandataires qu'ils ont choisis, traitant enfin avec leurs adversaires, c'est là la République. » [24]
 
C'est que  mutualité confine d'abord de très près à résistance, donc à prise de conscience. On ne saurait limiter la perspective des sociétés au simple secours maladie ou funérailles. On a de multiples exemples de l'imbrication étroite, mieux, de l'identité de la mutualité et de la résistance dont les plus éclatants sont ceux des chapeliers ou des ouvriers du Livre (et, dans le compagnonnage, des charpentiers). Il suffit de voir encore comment, tout naturellement et comme involontairement, les tourneurs sur bois de Jacques Bédé, sous la Restauration, sont conduits à entremêler secours  et  coalition. De même les plombiers En 1848, les ouvriers de la Société générale des Ouvriers en papiers peints de la République française peuvent invoquer leur longue tradition de lutte en même temps « mutualiste »  et de résistance.
« Les ouvriers en papiers peints, les premiers de Paris, se sont réunis en Société fraternelle pour la défense du travail. [...] Depuis 18 ans, on les a vus sur la brèche défendre le salaire des travailleurs avec une énergie et un courage dignes de cette sainte cause. [...] Il leur était défendu de débattre leur salaire ou de chercher un appui pour soutenir leurs droits. Faibles, isolés, sans protection, la loi, pour eux, était comme lettre morte ou une dérision lorsqu’elle les soumettait aux conseils de prud’hommes, composés de maîtres et de contremaîtres, leurs ennemis naturels. [...] Aujourd’hui nous demandons qu’on nous affranchisse d’une servitude qui nous accable encore, d’une servitude qui, si elle continuait à peser sur nous rendrait illusoire notre liberté politique.  [...]  Le but de notre Société d’Imprimeurs en Papiers peints est la consécration du droit au Travail. »  [25]
Pour eux, le chemin est direct, et naturel, qui mène de la mutualité de 1791 à la République du Droit au Travail.a
 
Dans tous les cas, la « mutualité » (mot qui existe à peine encore) ne contribue-t-elle pas à développer le sens de valeurs, des « vertus », propices au développement d'un esprit démocratique .La vie  même de la société est initiation à la démocratie :
« L'ouvrier dévoué doit voir dans les sociétés de secours un des moyens de sa tâche ; il ne doit rien négliger pour y faire pénétrer davantage les idées de solidarité et d'union qui doivent animer tous les partis du peuple travailleur ; il doit y saluer un apprentissage de la vie politique, par le droit d'élection qu'on y exerce, par la part qu'on y prend à l'administration de la société, bien qu'on n'y fasse pas de la politique proprement dite (et, en effet, ce n'est ni le lieu ni le but) ; rien n'empêche [...] d'y enseigner pratiquement comment les hommes doivent s'entre aider, puisqu'ils sont tous égaux et frères. » 
« N'oublions pas surtout que tout repose, dans le compagnonnage, sur le principe de l'élection, et que les chefs sont révocables. » [26]
 
Les Philanthropes avaient prôné la vertu d'épargne et de prévoyance. Elle est aussi et d'abord vertu de bienfaisance, de réciprocité, de générosité conduite parfois avec une grande délicatesse. Les collectes pour les malades et les infirmes sont de tradition chez les chapeliers :
« Souvent ces quêtes étaient plus humiliantes que secourables pour ceux qui en étaient l’objet, et les secours en résultant étaient toujours lents et tardifs. » La fondation d’une société de Secours mutuels des ouvriers fabricants chapeliers fouleurs (de 1808) procure une aide « de manière plus décente, plus efficace, plus prompte et plus certaine. »
Chez les modeleurs-mécaniciens de Cail, en 1867 :
 « Pour éviter les souscriptions personnelles et ne pas blesser l’amour-propre de celui qui reçoit, ils ont organisé depuis quelques mois une souscription permanente de 25 centimes par quinzaine. »
Et l'entraide est généreuse. En 1844, le boutonnier donne deux francs sur une semaine qui ne doit pas excéder 18 francs. En 1848 ceux des chapeliers qui ont du travail au-delà de 40 francs par semaine le cèdent aux sans-travail. Ils inventent, dès avant 1848, un « partage du travail » démocratique, et le procédé existe dans beaucoup de professions après Février.
 
Les prolétaires apprennent et comprennent alors qu'ils ont des droits. En vérité  des droits et des devoirs, et « des devoirs donc des droits », ce qui est l'essentiel d'une éthique démocratique.
Des droits. Ceci peut commencer à un niveau très matériel : le 26 septembre 1806, les tailleurs de pierre du Palais, à la suite d'une ordonnance du Préfet de police fixant les nouvelles heures de travail déclarent :
« Frère et ami tailleur de pierre, nous vous invitons de toutes nos forces à soutenir l'heure de nos repas comme ils sont établis et de ne vous laisser corrompre par de belles promesses. L'invitation est de la part de vos confrères du Louvre, de l'Étoile, des quais du Louvre, du Palais-Bourbon, de la rue de Rivoli, de la place Vendôme, du quai Bonaparte, du quai de la Cité, du Jardin des Plantes, du pont d'Austerlitz qui se reposent sur vous pour maintenir nos droits. »  [27]
Le Droit commence aussi par le respect  l'heure des repas.
De même, si les ouvriers mécaniciens de 1848 demandent les neuf heures, c'est « dans un but d’humanité et de fraternité » :  
« Sur les barricades, nous avons conquis un droit, celui de citoyens. De là la nécessité d’avoir du temps à consacrer à la culture de notre esprit. Le citoyen se doit à la patrie ; il faut donc que nous sachions quels sont nos devoirs envers elle et ce n’est pas en restant toujours enfermés dans nos ateliers que nous l’apprendrons; l’esclave ne travaille que de corps, le citoyen doit travailler de cœur et d’intelligence. »  [28]
J'ai déjà évoqué le développement de ce que j'ai appelé les vertus de bonne conduite  et de « décence », [29] et la fin des violences populaires. Les rixes compagnonniques tendent à disparaître après 1840 (elles n'ont jamais été importantes à Paris).
« La plaisanterie est permise dans les ateliers, parce qu'elle tient l'esprit en état de gaieté. Mais quand celui qui en est l'objet se fâche, on doit faire trêve afin d'éviter les querelles. » [...] Il est expressément défendu de se disputer, car les travailleurs doivent s'aimer et se pardonner les petites faiblesses d'amour propre. » [30]
Chez les Chaudronniers de la Ville de Paris, 1840
« Les sociétaires qui se présenteront ivres ou mis indécemment ne seront pas reçus et paieront un franc d’amende ; ceux qui ne se tiendront pas assis et découverts, qui prendront la parole sans l’avoir obtenue, qui s’absenteront, sans permission, paieront 50 centimes d’amende ; ceux qui manqueront au respect dû aux membres du bureau, aux sociétaires ou à l’assemblée toute entière, seront mis hors de la salle pour la séance, et si le cas est grave, et en cas de récidive, seront rayés.
Le bon ordre et l’intérêt de la Société exigeant que l’on soit du plus grand sang-froid, on ne pourra avoir aucune boisson durant la séance... »
Chez les approprieurs chapeliers, selon leur règlement de 1830 : « Sera exclu celui contre qui il existe une condamnation ou qui  aurait subi un jugement pour vol. »
 
Bien sûr, le maître mot est philanthropie, la vertu laïque de philanthropie telle que vient de la mettre remarquablement en lumière Catherine Duprat, au fond la vertu première que les ouvriers de la première moitié du XIXe siècle ont cherché à développer : vertu d'amitié, de bienfaisance, d'espérance, d'Humanité, bientôt de fraternité. [31]
Pour la Première des Arts Graphiques, hommes, en 1811
« Les besoins réciproques et l’amour de l’humanité rapprochent les hommes et forment les sociétés. Les vicissitudes de la vie sont si variées que l’homme prudent ne compte jamais sur un bonheur durable, il craint toujours les revers de l’inconstante fortune ; tel est le motif qui a déterminé plusieurs corporations à se réunir dans l’intention d’éloigner, ou du moins d’affaiblir les malheurs dont l’espèce humaine est accablée. » [32]
Le cordonnier Ephrahem, en 1833, parlera encore de « cette amitié qui doit nous unir» ».
La philanthropie est la vertu qui fait exactement contrepoint à l’« égoïsme » qui définit la société contemporaine, aristocratique et bourgeoise. « L'égoïsme dépossédé et tendant toujours à ressaisir ses anciens privilèges » [...] « l'égoïsme possesseur qui veut s'immobiliser dans la jouissance d'un droit usurpé. »  [33] 
Les Chapeliers Fouleurs : 
« Considérant que la Société se trouve lésée par l’égoïsme des individus, que notre société basée sur la philanthropie doit une égale portion à tous ses membres sans cependant entraver ni gêner le libre exercice du talent et de l’habileté, il a été jugé raisonnable par une députation de 27 délégués représentant une corporation de 209 membres d’arrêter (ce qui suit).... »
 
Les vingt-trois Sociétés de résistance que je recense en 1831/1834 se donnent encore les mêmes noms :  « chacun va trouver dans notre société des frères et des consolateurs ». Philanthropique est toujours usité en 1848. La Société générale Politique et Philanthropique des Mécaniciens et Serruriers et de toutes leurs subdivisions, 3.500 adhérents, entend venir en aide à ses membres « depuis leur admission jusques et y compris leur inhumation » : Union, secours mutuels simplement (bijoutiers, boulangers); mais aussi société fraternelle (ouvriers en papiers peints), amitié fraternelle (cordonniers), société philanthropique (arquebusiers, cambreurs, ébénistes, tailleurs), fraternelle et philanthropique (tisseurs). En 1840 les ouvriers de la Société de secours de chez Pagès-Baligot évoquent encore l’ « heureuse sympathie », la « naturelle et douce philanthropie » ;
« Elle est philanthropique parce que la Société se crée mère de tous ses  membres, et qu'elle doit en tout temps et toute circonstance, travailler pour l'avenir de ses enfants, en leur assurant pour tous les cas de manque de travail, de maladie ou de vieillesse, un bien-être suffisant pour les faire résister à l'oppression de ceux qui seront ses ennemis. »
« Elle est politique parce que chacun de nous doit connaître et suivre la marche du Gouvernement que nous avons tous créé, afin de pouvoir discuter ses actes et protester contre ceux qui tenteraient à anéantir nos droits. »
 
Ceci  n'est pas vrai naturellement de toutes les sociétés. Au début du siècle, selon une enquête de 1807, il paraît régner encore entre professions une cascade de mépris.
« Le ciseleur, l'orfèvre à la bosse dédaignent le joaillier qui le leur rend avec usure. Les uns et les autres regardent comme fort au dessous d'eux les bijoutiers. Ceux-ci rougiraient de fraterniser avec l'orfèvre en vaisselle plate qui les méprise. Les graveurs et les horlogers se croient des artistes d'académie et se moquent de tous les autres.
Cette désunion qui tient toute entière à l'amour propre fait que les points de réunion des ouvriers de ces différentes espèces comme traiteurs, cafés, billards, maisons garnies sont absolument distincts, et alors les coalitions générales sont presque impossibles ; un grand nombre restent anodines et se cantonnent dans l'humble tâche du secours. » 
Il est bien sûr des compagnonnages ou des sociétés étroites, « égoïstes », fermées, et elles  ne sont pas des exceptions. Les tailleurs de pierre compagnons continuent la solidarité pour les ouvriers mariés et devenus sédentaires, mais ils excluent de la société qu'ils constituent en 1848 « ces nomades qui viennent des départements pendant la belle saison seulement s'approprier les travaux de Paris. » [34]
 
Le vocabulaire  des « gens de métier »  a-t-il changé ? Ne figeons pas, comme tend à le faire en dépit de toutes ses nuances William Sewell, leur langue en un « idiome corporatif » qui n'aurait guère varié. Les ouvriers du XVIIIIe siècle, Michaël Sonenscher l'a montré, usaient couramment des mots « despotisme, tyrannie, esclavage, servitude, possession des droits, droits naturels, liberté et droits, liberté naturelle ». On voit des cabales d’ouvriers « pour soutenir leurs droits et s’affranchir de l’esclavage », « secouer le joug », « éviter la tyrannie et l'esclavage dont ils sont menacés." »
 
 Il y a eu des glissements, imperceptibles ou perceptibles, qui mériteraient une plus longue étude. Au début des années 1830, les ouvriers combattent toujours le despotisme, la tyrannie, leur servitude. IIs invoquent leur « esprit de fierté et d'indépendance », leurs « droits d'hommes libres », la fraternité entre les hommes (« Respect aux lois, secours aux frères »), l’équité (plutôt que l'égalité), la justice. Martin Nadaud en appelle à « un idéal de justice opposé à celui que nous enseignait l'Église avec son paradis et son enfer. » [35] La Société auxiliaire des approprieurs-chapeliers de Paris a « pour principe le soutien mutuel et pour règle la justice ». On est passé de l'Humanité à la Fraternité et la Solidarité : « Tout se faisait alors (en 1848) au nom de la fraternité, comme tout s'était fait soixante ans auparavant au nom de l'humanité. » [36]
Un mot nouveau me paraît spécialement important, celui de dignité. Le XVIIIe siècle connaissait l'honneur (tant soit peu exclusif) du métier. Il s'agit désormais de dignité, dignité du travail, dignité de l'homme travailleur :
« 1832, première année de la rénovation industrielle des doreurs. Les signataires, composant la Société de l'Union des Doreurs, grands et puissants par la connaissance qu'ils ont acquise de la dignité de l'homme qui travaille pour vivre et faire vivre ceux qui ne travaillent pas, ont, d'un commun accord, ayant conscience que l'industriel prolétaire est l'homme le plus utile, placé ce dernier au premier degré de l'échelle sociale en lui faisant accepter les conditions suivantes :
Art. l.  La Société des Doreurs est  progressive et impérissable, il est donc dans l'intérêt des Doreurs sur bois de soutenir et de protéger en leur qualité d'homme ou d'être pensant de toute leur puissance mo­rale les lois qui sont énoncées dans cette constitution. »
Et voici l'oraison funèbre prononcée en 1846 par un de ses camarades, de Delorme, dirigeant des grèves des tailleurs de 1833 et 1840, ancien membre de la Société des Droits de l'Homme, rédacteur de L'Atelier :
« Personne plus que lui ne fut jaloux de la  dignité de l’ouvrier ; c’était surtout ce senti­ment qu’il cherchait à exciter par-dessus tout chez ses camarades, qu’il exhortait à tout sacrifier, à tout souffrir plu­tôt que de subir la blessante dépendance dans laquelle on prétend main­tenir notre classe... » [37]
 
Mais c'est Liberté qui est le mot fort de 1830, et il est bien vain de se demander, comme ont fait les historiens anglo-saxons, pourquoi les ouvriers se sont battus en Juillet pour les libertés « bourgeoises ». Le prolétaire combattait pour une Liberté qui était tout aussi sienne. « La liberté est la première pensée qui fait battre le cœur de l'homme, riche ou pauvre, instruit ou non instruit. » [38] Flora Tristan le rappelle fortement :   
« L’ouvrier français est un être à part, ne ressemblant en rien à l’ouvrier des autres pays. - Il y a chez lui un je ne sais quel amour du mot liberté poussé vraiment jusqu’à l’exaltation, à la fo­lie ! - Ce mot liberté (qui jusqu’ici n’est qu’un mot), implanté dans son esprit, depuis 89 par une puissance mysté­rieuse et surhu­maine, y trône avec la tyrannie de l’idée fixe. - Tel est l’ouvrier français; il pré­fère subir les chô­mages, la misère, la faim ! [...] plutôt que de perdre ce qu’il nomme - sa liberté. - Or il repousse, sans même vouloir examiner, le droit au travail parce qu’il voit dans la réalisation de ce droit une espèce d’enrégimenta­tion. Il n’en veut donc point et le repousse avec horreur. Plutôt mourir de faim, s’écrie-t-il, mais du moins mourir libre. »  [39]
Le 24 août 1830, « les ouvriers du port de la Grève se refusent à travailler ; ils veulent vivre indépendants et sans chefs. » Troncin, fondateur et président, au moment de a grève de 1833, de la Société Philanthropique des Ouvriers Tailleurs répond au procureur lors de son procès: « Je n'ai fait en cela qu'user de ma  liberté. »
La « liberté du travail », pourtant problématique, est explicitement revendiquée par les prolétaires en 1830 (mais bien sûr à leur profit et en le sens où ils l'entendent) : les fondeurs en cuivre invoquent en 1833 le « droit naturel qu'ils ont d'exercer librement leur industrie dans les ateliers qu'il leur plaît de choisir. »
 
Une éthique démocratique s'affirme. Dira-t-on qu'il s'agit là de valeurs propres à la "classe ouvrière" ? Ce sont celles de la Révolution ; et peut-on réellement de parler d’une “politique populaire qui serait différente de la politique “ générale“ ?
 
1848,  Accomplissement
 
J'y vois à la fois accomplissement de la « socialisation»  prolétaire et affirmation (ou révélation) du caractère inséparable du social et du politique.
1848 est le moment de l'achèvement manqué, de l'avortement final d'une régénération de la forme compagnonnique. Celle-ci se fondait sur l'épanouissement des vertus de mutualité en fraternité, son  acquiescement est enthousiaste à la forme républicaine fraternelle. Le Club des compagnons de tous les devoirs réunis assure le gouvernement provisoire
 « que la fraternité scellée de notre sang sur les barricades de Février a fait de nous un peuple d'amis, jurant de vivre et de mourir pour l'affermissement de la République. » [40]
Un comité de fusion de tous les rites se constitue :
« Soldats de la Démocratie, sentinelles de barricades, unissons-nous, que notre fraternel faisceau soit la barrière insurmontable et toujours opposée à l'intrigue jésuitique de ceux qui osent se parer du nom de républicains pour arriver plus facilement à jeter la division dans nos rangs. »
La Constitution fraternelle compagnonnique et sociale est prête le 3 avril 1849. Mais elle est aussitôt un échec. Sur 35 sociétés, 8 seulement votent pour, 7 contre, 20 s'abstiennent, Il en sort cependant une Société des Devoirs réunis. En vérité  le temps du compagnonnage est achevé.
Avec l'épanouissement de 1848, le lien intime entre sociabilité ou socialité ouvrière et prise de conscience politique apparaît de façon éclatante.  Les corporations ouvrières - on a repris le vieux terme -, présentes dans tous les métiers, et dont on peut pratiquement dire qu'elles sont toutes filles des mutualités antérieures, sont tout naturellement  républicaines.
Les contemporains ont pu croire à un  retour de l'esprit corporatif et archaïque :
« Les corporations ne s'étaient pas contentées de reparaître avec leur exigence égoïstes et souvent absurdes, elles s'étaient isolées de la grande société pour s'ériger en sociétés particulières, avaient voulu figurer à part dans les fêtes publiques, y arborer des bannières, distinctes des drapeaux de la Garde nationale sous lesquels tous les rangs de la Société étaient confondus. On a vu même les plus nombreuses affecter la prétention d'avoir chacune un représentant dans l'Assemblée. » [41]
Corporation a trop changé de sens :  ce n'est plus ici que le métier prolétaire. Les contemporains tout de même n'ont pas totalement tort. Et cependant En avril 1848, le Comité central des ouvriers du département de la Seine, au nom des Corporations réunies, présente aux élections une liste purement ouvrière ; elle sera un échec et ne fera pas 40.000 voix. L'Atelier, tout de suite, puis les corporations elles-mêmes, reconnaissent que ç'était une faute, et pas seulement tactique. Les ouvriers de Paris, même s'ils sont les  républicains du premier jour, n'ont pas pour autant vocation à représenter, comme ils l'ont cru un moment, le Peuple tout entier. Et dans la République de tous, il n'y a pas davantage lieu qu'existe une représentation ouvrière spécifique. Ouvriers du Livre en tête, comme d'habitude, les prolétaires parisiens rejoignent le camp de la République « démocratique et sociale » dès les élections de 1849. Mais on sait que le problème se posera encore sous le Second  Empire, avec le Manifeste des Soixante.
Ne s'est-on pas heurté alors justement au problème, qui n'est pas seulement celui de l'incompatibilité de deux libertés, qui s'était posé pendant la Révolution, touchant les rapports des sociétés particulières avec la société générale, donc avec le politique. :« Toute société partielle, quand elle est étroite et bien unie, s'aliène de la grande. » 
 
Il me semble qu'il y a lieu de s'interroger finalement sur la signification de cette prise de conscience qui s'accomplit chez les "prolétaires" parisiens des années 1820 aux années 1840. Faut-il parler de « formation de la classe ouvrière », de « conscience de classe » (prélude à une lutte des classes) ? Classe dans le vocabulaire du temps est encore un terme bien faible, n'est que catégorie ;et existe-t-il une classe des ouvriers de Paris ? Est-il vraiment efficace  encore d'utiliser pour le premier XIXe siècle le concept de lutte des classes ? Celle-ci est-elle compatible avec l'édification commune de la République, qui est l'aspiration des ouvriers, à partir au moins des années 1830. E. Labrousse préférait dire antagonisme sociaux.
 
Nuançant en tout cas sur ce point les conclusions (et le titre même) du grand œuvre d'Edward Thompson, I. Prothero a bien mieux formulé que je ne ferais une conclusion qui me paraît essentielle : on me pardonnera de le traduire librement : [42]
« (Ces années) ... n'ont pas vu la formation d'une classe ouvrière qui aurait persisté depuis. (Mon livre) traite principalement des artisans.  Et, cela est aussi vrai de l'Angleterre que des autres pays d'Europe : ce que les historiens veulent dire lorsqu'ils parlent de l'essor de la classe ouvrière, c'est la prise de conscience politique des artisans. » [43]
Parce que le social et le politique ne sauraient être, arbitrairement, disjoints.


[1] Maurice Agulhon, « Classe ouvrière et sociabilité avant 1848 », repris dans Histoire vagabonde, I, p. 60-97. Rémi Gossez, Les ouvriers de Paris, 1967 ; Un ouvrier en 1820. Manuscrit inédit de Jacques Étienne Bédé. 1984. Thomas Brennan, Public Drinking an Popular Culture in Eighteenth Century Paris, Princeton 1988. Garrioch (David). Neighbourhood and Community in Paris, 1740-1790. Cambridge University Press, 1986, xii + 278 p.  Bernard Gibaud, Révolution et Droit d'Association. Au Conflit de deux Libertés, 1989. Michael David Sibalis, « The mutual aid Societies of Paris, 1789/17848 », French History, n° 3, 1989, p. 1-30. William Sewell (Jr), Gens de Métier et Révolutions. Le langage du travail de l'Ancien Régime à 1848. Paris, Aubier,  1983 et « La Confraternité des Prolétaires : Conscience de classe sous la Monarchie de Juillet, » Annales ESC, octobre-décembre 1981. Sewell a eu beaucoup d'intuitions justes, avec me paraît-il quelques faux-sens (dont beaucoup il est vrai semblent dus à des maladresses de traduction) : il exagère, en dépit de nuances fréquentes, la continuité de l'idée corporative (dont la force autrefois est maintenant sérieusement discutée) de l'Ancien régime à 1848, et abuse des termes de rhétorique, ou  idiome corporatifs. 
Et, cela va de soi, Edward. P. Thompson, La Formation de la Classe ouvrière anglaise.  Mais aussi Iorwerth Prothero, Artisans and Politics in Early  Nineteenth-Century London. John Gast and his Times. Dawson, 1979.
[2] L'expression est de Bernard Gibaud.
[3] Souvenirs de 1848 : « Cloubs, quelques-uns disaient clioubs »... « On se disputait sur la manière de prononcer le mot, et l'on en tirait des conséquences sur les opinions politiques. Club était démocrate, cloub était réac, clioub n'était pas compris. »
[4]  Paris-Guide, tome II, p. 1403.
[5]  Les exemples, sous la Restauration, par  Canler, donnés dans M. Agulhon, Histoire vagabonde, I
Voir aussi Georges et Hubert Bourgin, Le régime de l'Industrie en France de 1814 à 1840, passim.
Pour le café Momus,  Martin Nadaud, Mémoires de Léonard, p. 198.  Heine en donne l'adresse : « Il y avait dans le bas de la rue St Antoine une petite maison, sorte de crémerie, qui avait pour enseigne "Au café Momus. »
Ou encore : « Si l'on veut prendre son café aux aurores il faut entrer audacieusement dans les sombres locaux de la rue Saint Antoine ou au-delà du pont Saint-Michel ou autour de la Halle au Blé ou du marché des Innocents. Là il trouvera des hommes en blouse, des ouvriers, des gens de la campagne, des cochers de cabriolet, des ouvriers tailleurs discutant les nouvelles de la veille ou peut-être parcourant ensemble, à six, le Constitutionnel du jour. »   D. Mitchel, French Gleanings or a new Sheaf from the old fields, of Continental Europe , New York, 1847, p. 124, cité par Bertier de Sauvigny, La France et les Français vus par les voyageurs américains, 1814-1848, Flammarion, 1982, 427 p., p.  97-98.­­­­­
[6]  François Gasnault  Guinguettes et Lorettes, Bals publics à Paris au XIXè siècle. Bals publics à Paris au XIXè siècle. Paris, 1986.
[7] Louis-Antoine Berthaud, Le Goguettier, Les Français peints par eux-mêmes, t. 4 p. 313 sq. Confirmé par le texte classique de Vinçard aîné, Mémoires épisodiques d’un chansonnier saint-simonien, Avertissement au lecteur  p. 24/26.  « A cette époque, tout concourait à exciter et à entretenir notre ardeur poétique. C'était en 1818, alors que s'établissaient dans plusieurs quartiers de Paris des Sociétés chantantes, autrement dites goguettes. Elles fonctionnaient librement, sans autre autorisation que celle tacite du commissaire de police. ... Ce qu'il y a de positif, c'est que la plus grande indépendance était laissée à ces réunions, toutes composées d'ouvriers; on chantait et l'on déclamait, là, toutes sortes de poésies, sérieuses ou critiques et parmi ces dernières, les attaques contre le gouvernement et l'Église ne manquaient pas. Les couplets patriotiques de Béranger y étaient accueillis avec enthousiasme ».
[8] Sur ce rôle politique des goguettes, nos autres (et seules) sources, outre le texte de Vinçard évoqué à la note précédente, sont la circulaire Anglès de 1820 : « Ces réunions, qui toutes prennent des titres insignifiants en apparence, sont composées d'individus animés en général d'un très mauvais esprit ; dans la plupart, on chante des chansons, on lit des poésies où, à la faveur et sous le voile de l'allégorie, le gouvernement, la religion, les moeurs sont également outragés, les choses et les personnes également attaquées, menacées. »
Selon Larousse, « Toutes firent la guerre à la restauration et toutes avaient des soldats sous le feu des Suisses le 28 et le 29 juillet 1830, mais surtout les Infernaux. »
[9]  Nerval, Les Nuits d'Octobre  ,Pléiade I, p. 90 sq., L'Illustration, 9, 23, 30 octobre 6, 13 novembre 1852.
[10] La Ruche populaire, mars 1844, t. V, p. 82-89, article de Coutant.
[11] Le Bons Sens, n° 1, 1833.
[12] Selon Perdiguier, Histoire d'une scission...., p. 25.
[13] Alors apparaît vraiment sur le devant de la scène -  ce n'était pas le cas au XVIIIè siècle - celui que les Anglais appellent plaisamment le « political shoemaker ». « Les ouvriers cordonniers sont généralement des penseurs acceptant philosophiquement leur sort. Assis du matin au soir pour faire tous les jours un travail uniforme, ils n'ont pas l'esprit en alerte, et ce manque de distraction les porte à songer sur ce qu'ils ont vu et entendu dire. À cause de cette situation particulière, ils approfondissent davantage que beaucoup d'ouvriers les choses du ressort des travailleurs. » Charles Vincent, Histoire de la Chaussure.
[14] Cité par A. Cottereau, Prévenir, mai 1984/9, p. 58.
[15]  2 de menuisiers, 2 d'imprimeurs, 1 de tanneurs, 1 de tonneliers, 1 d’orfèvres, 1 d'ouvriers en papiers peints (celle de  Réveillon puis Jacquemart).
[16] Selon Sibalis, en 1846, 34 sociétés d'imprimeurs et graveurs, 10 d'ouvriers du bois, 10 de bijoutiers, orfèvres, horlogers, 7 de cordonniers et bottiers, 7 dans le cuir, 4 de chapeliers, 4 du métal, 3 d'ouvrier en papiers peints, 11 d’ouvriers de ports et forts, toutes sociétés très petites. 6% seulement sont des sociétés de femmes. À titre de comparaison Marseille en a 34 en 1820, avec 2.600 membres, 47 en 1840 (3.500), 102 en 1850 (7.400) ; 130  en 1852 (10.500).
[17]  Voir M. Agulhon, Une ville au temps du socialisme utopique, et   Moreau De la Réforme des abus du compagnonnage. 1843, p.72.
[18] Moreau, Réforme…,  p. 43, et  Lettre citée par Perdiguier, Livre du Compagnonnage, II, p. 36-46.
[19] Perdiguier, Livre du Compagnonnage, 1839, p. 213.,
[20]  Duroselle, Les Débuts du Catholicisme social, p. 242 sq.
[21] G. et H. Bourgin, op. cit., passim.
[22]  Le Populaire, décembre 1833.
[23]  L'Atelier, art. cit.. Le père Cabet contribue à  inculquer  à ses lecteurs une culture politique et républicaine, rustique sans doute mais solide, et surtout indépendante, notamment par l'instruction: il est l'un des animateurs de l'Association Libre pour l'Éducation du Peuple de 1832-1834. Son Populaire « prêche la justice; la générosité, l'humanité, la liberté, l'égalité, car il est surtout l'ami du peuple, et veut  faire aimer la République. » (16 février 1834)
[24]  Populaire n° 3, septembre 1833.
[25] R. Gossez, op. cit., p. 195.
[26] L'Atelier, juin 1845, p. 142. Sur les compagnonnages, a 2 n° 7 mars 1842, p. 34 sq.
[27] Aulard, II,723.
[28] R. Gossez, op. cit., p. 180.
[29] Daniel Roche rappelle judicieusement Kant, L'Anthropologie du point de vue pragmatique : « Si insignifiantes que puissent paraître ces lois de l'humanité raffinée, surtout lorsqu'on les compare avec celles de la pure moralité, tout ce qui favorisé la sociabilité, fût-ce sous la simple forme de maximes et de manières plaisantes, n'en est pas moins pour la vertu un habillement avantageux qu'il convient de lui recommander. »
[30] Hubert-Valleroux, Les Associations coopératives en France et à l'étranger, p. 73  Règlement des ferblantiers, 1850.
[31] Il suffit de recenser les titres des sociétés qui se créent : Amis,  Vrais Amis, Amis de l'Humanité, Amis de l'Égalité, Amis bienfaisants, Amis de prévoyance, Amis de la Fidélité, Amitié, Amicale de secours, Cordiale amitié, amitié fraternelle, Union parfaite, Bonne Union, Espérance, Soulagement, Accord, Accord sincère, Bon Accord, Secours réciproque, Bienfaisance réciproque, Miroir des vertus, Alliance, Indissoluble alliance, Vraie Humanité, Révérée de l'Humanité, Sympathique d'Humanité, Bons Humains...
[32] Sibalis, art. cité, p 24.
[33]  L'Atelier, novembre 1843, a 4, n° 2
[34] Gossez, op. cit., p. 136  Où l'on voit que e terme de nomades n'a pas été inventé par Haussmann.
[35] Martin Nadaud, Mémoires de Léonard, p. 302.
[36]  Hubert-Valleroux, ibid. p. 73.
[37] Voir L’Atelier  p. 224. 
[38]  Boyer, De l'Amélioration du sort des classes ouvrières, p. 43.
[39]  Flora Tristan, L'union ouvrière, p. IX.
[40] AN  BB30 299.
[41] Du Cellier Histoire des classes laborieuses en France depuis la conquête de la Gaule par Jules César jusqu'à nos jours, 1859.
[42] Iorwerth Prothero, Artisans and Politics in Early Nineteenth-Century London, p. 337, dans un cadre londonien qui mériterait d'être systématiquement rapproché du cadre parisien.
[43] « The years 1829-34 did not see the formation of a working class that has persisted ever since. That book is mainly about artisans, with whom it deals so sensitively. It is as true of England as elsewhere in Europe that much of what historians mean when they speak of the « rise of the working class is artisans becoming politically active. » .
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