Internationale

 

 

La Première Internationale

Les antécédents . - Il semble que la prise de conscience de l'existence d'une solidarité internationale entre travailleurs de différents pays soit à peu près exactement- contemporaine de l'apparition des premiers mouvements ouvriers organisés. On en décèle les premières traces aux lendemains de 1830, dans un manifeste des ouvriers lyonnais à leurs frères d'Angleterre, publié dans L'Echo de la Fabrique du 27 mai 1832, et dans une adresse des ouvriers de Nantes aux trade-unions anglaises, reproduite dans le Pioneer du 7 juin 1834. Pour leur part, dès que solidement constitués, trade-unionistes et chartistes anglais se sont activement employés à nouer d»s contacts avec les représentants du mouvement ouvrier ou révolutionnaire européen» L'Association des ouvriers de Londres, formée en juin 1836 sous la direction de William. Lovett, multiplie à son tour manifestes et adresses aux ouvriers de France, de Belgique, d'Allemagne. « Camarades producteurs des richesses - propose Lovett en 1838 - étant donné que nos oppresseurs sont unis, pourquoi ne nous unirions-nous pas à notre tour dans un zèle sacré pour montrer l'injustice de la guerre, la cruauté du despotisme, et la misère qui en découle pour notre classe ? » De même lorsque FIora Tristan bâtit en France le projet d'une Union ouvrière (1843), elle envisage aussitôt qu'elle établisse, par l'intermédiaire de comités de correspondance, des relations permanentes avec les principales métropoles du mouvement ouvrier en Europe.

Mais c'est hors du mouvement ouvrier que l'idée d'une organisation internationale passe du stade du voeu pieux à celui de la réalisation, dans les milieux d'émigrés politiques réfugiés nombreux en Suisse, à Paris, à Londres après les révolutions européennes avortées de 1830 et de 1848 et qu'une commune condition de proscrits révolutionnaires conduit naturellement à tenter de coordonner leurs luttes. La première organisation notable a sans doue été la Jeune Europe de Mazzini, fondée en 1834 , Londres devient rapidement le centre de toutes ces intrigues internationales . En mars 1846, chartistes et proscrits fondent l'association des « Fraternal Democrats » qui tient une retentissante campagne de meetings, établit quelques contacts avec l'Association démocratique créée à Bruxelles par des radicaux belges, français allemands, et dont le vice président est K» Marx. C'est à Londres qu'après l'échec des révolutions rhénanes se réfugie ce dernier, qui vient de publier en février 1848 le Manifeste communiste. Le mouvement prend plus d'ampleur encore après 1848 (on dénombre en Angleterre en 1853 quelque 4.380 proscrits, dont 2.500 polonais, un millier de Français, 260 Allemands). Un Comité central démocratique européen formé en 1850 par Ledru-Rollin, Mazzini, A.Ruge et le Polonais Darasz est pratiquement mort-né. En août 1856, la réunion des proscrits français de la Commune révolutionnaire (fondée en 1852 par F» Pyat, Caussidière et Boichot), des chartistes d'un International Committee, de socialistes polonais et de communistes allemands donne naissance à une « International Association » ; elle ne s'assure qu'une très maigre audience, sauf aux Etats-Unis et disparaît en 1855. Mais déjà, par son organisation en sections, sous l'autorité d'un Comité central à Londres, elle préfigure l'Association internationale des Travailleurs de 1864. La filiation est d'ailleurs directe, puisque plusieurs de ses dirigeants vont faire partie du premier Conseil général de l'A.I.T.

 

Mouvement ouvrier français et anglais autour de 1860 -  En aucun cas, les organisations précédentes n'ont dépassé le stade du complot de minorités révolutionnaires agitées, mais peu représentatives. L'A.I.T., « enfant né en France et mis en nourrice à Londres », naît au contraire de l'entente des deux classes ouvrières les plus importantes et les plus avancées d'Europe.

Depuis ses défaites de 1848-1850, et surtout à partir de 1860, le mouvement ouvrier en Angleterre et en France a pris un cours nouveau. La classe ouvrière anglaise s'organise puissamment sur le plan syndical : les principales corporations ont leurs trade-unions, qui de plus en plus fréquemment se soutiennent mutuellement dans leurs luttes. Elles s'allient momentanément, puis se fédèrent localement, quelquefois nationalement dans le cadre des grandes sociétés « amalgamées » comme celles des Mécaniciens (1851), des Charpentiers (1860), des Mineurs, des Fondeurs en fer... En 1860 s'est formé dans la capitale un London Trades Council, né des solidarités qui se sont nouées au moment de la grève du bâtiment de 1859, ou 43.000 ouvriers mis en lock-out ont reçu l'aide de leurs compagnons d'autres corporations; une Junta le dirige, W. Allan des Mécaniciens, D. Guile des Fondeurs en fer, G. Odger des Cordonniers, E. Coulson des Maçons, R. Appelgarth des Charpentiers - les trois derniers feront partie du Conseil général de l'A.I.T. » Ce syndicalisme mène le combat dans un style très différent de celui du premier unionisme des années 1850 ou du mouvement chartiste. Exigeant de fortes cotisations, il recrute presque exclusivement des ouvriers qualifiés et délaisse les « unskilled ». Il prend des allures nettement réformistes : ses puissants moyens financiers lui permettent une résistance efficace sur le plan économique ; en politique, il s'inquiète seulement de l'élargissement du droit de suffrage, de la reconnaissance et de l'extension des droits syndicaux. Néanmoins il prête encore volontiers appui aux mouvements révolutionnaires européens, continue d'entretenir des rapports avec les émigrés : en 1864 les ouvriers anglais font une chaleureuse réception à Garibaldi.

Le mouvement français est loin d'être aussi vigoureux. La répression des années 1850 l'a en apparence réduit à rien, et ni la coalition, ni l'association ouvrières ne sont autorisées. Il n'en est pas moins certain qu'après l'immense essor de 1848 subsistent, au moins à l'état latent, des organisations corporatives qui ne demandent qu'à réapparaître au grand jour. Or, à partir de 1860, l'Empire semble relâcher la bride ; en difficulté ailleurs, il esquisse un rapprochement avec la classe ouvrière, tolère en 1861 une retentissante grève des typographes parisiens, laisse même se reconstituer certaines associations ; le césarisme se donne des allures sociales. Se leur côté, les dirigeants de ce mouvement ouvrier renaissant sont très différents de ceux de la génération révolutionnaire de 1848, Ils subissent fortement l'influence du socialisme proudhonien, qui prétend soigneusement distinguer la lutte ouvrière, purement économique et sociale, de toute préoccupation de caractère politique.

Ainsi le syndicat ouvrier prend-il ses distances par rapport à l'opposition traditionnelle de gauche. Aux élections, de  1863 et 1854, les ouvriers parisiens ont tenu à présenter leurs propres candidats. Geste électoralement inefficace, mais expressif, le Manifeste des Soixante a été publié dans L’Opinion nationale du 17 février 1864. « Le suffrage universel nous a rendus majeurs politiquement, mais il nous reste encore à nous émanciper socialement. »,, Cette émancipation, il ne peut être question de l'attendre de députés libéraux ou même républicains, parce que tous bourgeois et par conséquent peu attentifs aux vrais intérêts de lé classe ouvrière. Celle-ci agira donc par elle-même, cherchant son salut dans l'association des ouvriers, l'organisation de coopératives, le crédit mutuel.

Tant qu'il n'est pas question de politique (et que l'opération est même rentable contre l'opposition républicaine), l'Empire est tout disposé à laisser faire. Il a autorisé - et dans une certaine mesure financé - l'envoi d'une délégation ouvrière, élue par les principales corporations de Paris et de Lyon, à l'Exposition industrielle universelle de Londres de 1862. Le secrétaire de la délégation est le oiseleur en bronze Henri Tolain (l'un des candidats ouvriers de 1863). De Londres, les ouvriers français reviennent émerveillés de l'efficacité de l'organisation des trade-unions, et de la condition privilégiée que se sont assuré les ouvriers anglais. Les délégations ouvrières réclament presque unanimement dans les rapports qu'elles publient à leur retour l'octroi des droits d'association et de coalition/ Le gouvernement s'apprête à les leur accorder : une loi de 1864 autorise la grève.

Constitution de l'Association internationale des Travailleurs -  Contrairement à une légende tenace, ce n'est pas au cours du voyage de 1862 qu'ont été noués les contacts qui sont à l'origine de la constitution de l'Internationale, Les Français ont été accueillis alors par des coopérateurs anglais, des politiciens, des industriels dont l'un au moins a compté parmi les principaux adversaires des syndicats londoniens au moment de la grande grève des ouvriers du bâtiment. Ils n'ont pas rencontré alors les dirigeants du London Trades Council. Les contacts décisifs se sont établis l'année suivante, quand les syndicalistes londoniens ont invité des représentants des ouvriers français à une manifestation commune en faveur de l'indépendance de la Pologne. Un meeting réunit, le 22 juillet 1863, avec les principaux représentants des syndicats de Londres, cinq français, les bronziers Tolain et Perrachon, les mécaniciens Aubert et Murat, le maçon Cohadon, l'instituteur Bibal ? Le lendemain, les syndicalistes anglais accueillent les Français dans une réunion plus intime, où sont jetées les bases d’une entente.

L'Association internationale des Travailleurs est définitivement formée au cours d'un nouveau voyage que font en 1864 à Londres Tolain. et Perrachon, accompagnés du passementier Limousin. Au meeting de Saint-Martin's Hall (29 septembre) est adopté un projet français qui prévoit la création de sections européennes, sots la direction d'un Comité centrai à Londres. Bien qu'essentiellement ouvrière et franco-anglaise, la nouvelle organisation ne rompt pas tout à fait avec la tradition : des émigrés polonais, allemands (dont Marx), italiens de la tendance mazzinienne,, français (issus de la Commune révolutionnaire et qui vont constituer à Londres une « French branch ») participent à sa fondation. Le comité provisoire compte 21 Anglais, 10 Allemands, 9 Français, 6 Italiens, 2 Polonais, 2 Suisses.

Il s'occupe aussitôt de la rédaction de statuts provisoires, à laquelle Marx paraît avoir pris une part décisive. L'A.I.T. tiendra des congrès annuels. Le Conseil général « établira des relations entre les différentes associations d’ouvriers de telle sorte que les ouvriers de chaque pays soient constamment au courant des mouvements de leur classe dans les autres pays ; qu'une enquête sur l'état social soit faite simultanément et dans un même esprit ; que les questions proposées par une société soient examinées par toutes, et que lorsqu'une idée pratique ou une difficulté internationale réclameront l'action de l'Association, celle-ci puisse agir d'une manière uniforme... Les membres de l'A.I.T . devront faire tous leurs efforts, chacun dans son pays, pour réunir en une association nationale les diverses sociétés d'ouvriers existantes, ainsi que pour créer un organe spécial. » Les statuts définitifs ne seront approuvés qu'au Congrès de Genève en 1866, en même temps qu'un règlement prévoyant les formes de constitution et d'administration des sections, leur représentation dans les congrès et auprès du Conseil général.

Une imprécision dans la traduction, française des « Considérants » qui précèdent le texte des statuts, donnera lieu plus tard à une malheureuse et grave querelle. Le texte anglais porte « that the economical emancipation of the working classes is the great end to which every politioal movement ought to be subordinated as a means » ; le texte français simplifie (plutôt que tronque volontairement) en « que l’émancipation éoonomique des travailleurs est le grand but auquel doit être subordonné tout mouvement politique. »

L'Adresse inaugurale -  Outre la part qu'il a prise dans la rédaction des statuts, Marx va jouer, au sein du Conseil général dont il est membre, un rôle majeur, que certains jugent démesuré. « Comme le ooucou – écrit le Suisse James Guillaume qui le déteste,  il est venu pondre son œuf dans un nid qui n'était pas le sien. Son dessein a été, dès le premier jour, de faire de la grande organisation ouvrière l'instrument de ses vues personnelles. » Il est vrai que Marx, proscrit, ne représente alors aucune organisation ouvrière, même allemande. Le mouvement ouvrier allemand est alors sous l'emprise des idées lassalliennes, très éloignées des siennes. C'est bien lui cependant qui, dans une large mesure, va présider aux destinées de la nouvelle association, avec une extrême prudence, sans la moindre apparence jusqu'en 1870 de ce « sectarisme » dont on ne tarde pas à l'accuser, et laissant bien plus s'accomplir l'évolution naturelle du mouvement ouvrier qu'il n'essaie de la diriger. Il définissait dès 1864 les perspectives selon lesquelles celui-ci devait orienter son action, dans un texte fondamental, le Manifeste, ou Adresse inaugurale de l'Internationale.

C'est d'abord un bilan de  l'évolution de la condition ouvrière européenne depuis l'échec des révolutions de 1848. Tandis que, dans la nouvelle conjoncture de prospérité, les capitalistes ne cessent de s'enrichir, les prolétaires ne cessent de s'appauvrir, relativement ou absolument. « C'est un fait d'une grande importance que la misère de la masse des travailleurs n'a point diminué, de 1848 à 1864, dans la période qui se distingue entre toutes par un développement sans exemple de l'industrie, par un accroissement inouï du commerce. » Il en donne les preuves pour l'Angleterre, valables a fortiori pour les pays moins avancés du continent. Et cependant les luttes ouvrières n'ont pas été vaines. La classe ouvrière anglaise est parvenue à faire passer le bill des dix heures de travail, que la plupart des gouvernements continentaux ont été contraints d'imiter. Par ailleurs, les prolétaires ont fait la preuve qu'ils étaient capables de se passer des capitalistes par les expériences coopératives menées depuis Owen. Soulignant leur caractère limité, Marx montre cependant que « ce n'est pas par des arguments, mais par des actions qu'elles ont prouvé que la production sur uns grande échelle et en accord avec les exigences de  la science moderne, peut être exercée sans l'existence de la classe de maîtres employant celle des manoeuvres. » Les ouvriers ont la force du nombre, ils doivent apprendre à s'en servir.

Il y a une apparente contradiction entre l'affirmation de la loi tendancielle de la paupérisation et celle de la possibilité pour les ouvriers d'obtenir par leur lutte, des améliorations à leur condition. Il est d'autre part encore des théoriciens et des syndicalistes anglais pour affirmer qu'une augmentation de salaires, se soldant immédiatement par une augmentation des prix, ne pourra en aucun cas améliorer la situation des ouvriers. Marx revient longuement sur ces points dans la controverse qui l'oppose en 1865 à John Weston au sein du Conseil général» Anticipant sur l'argumentation qu'il développera dans le premier volume de son Capital, qui paraît en 1867, il conclut que :

«  1. Une hausse générale du taux des salaires entraînerait une baisse générale des profits, mais ne toucherait pas en somme au prix des marchandises.

2. La tendance générale de la production capitaliste n'est pas d'élever le salaire normal moyen mais de l'abaisser.

3. Les syndicats agissent utilement en tant que centres de résistance aux empiétements du capital. »

 

L'action syndicale est donc indispensable et utile. Mais Marx souligne encore que les syndicats « manquent entièrement leur but dès qu'ils se bornent à une guerre d'escarmouches contre les effets du régime existant, au lieu de travailler en même temps à sa transformation et de se servir de leur force organisée comme un levier pour l'émancipation définitive de la classe travailleuse, c'est-à-dire pour l'abolition définitive du salariat. »

La formule - qui contient une critique explicite du réformisme syndical à l'anglaise - sera reprise plus nettement encore dans la résolution proposée par le Conseil général à l'approbation du Congrès de Genève (1866) :

« Jusqu'ici les syndicats ont envisagé trop exclusivement les luttes locales et immédiates contre le capital. Il faut que les syndicats apprennent à agir dorénavant de manière plus consciente en tant que foyers d'organisation de la classe ouvrière dans l'intérêt puissant de leur émancipation complète. Il faut qu'ils soutiennent tout mouvement social et politique qui tend à ce but. »

Et c'est bien dans le sens d'un internationalisme syndicaliste révolutionnaire que va s'orienter peu à peu, au travers de nombreuses résistances, l'action de l'Association.

Difficiles débuts - Jusqu'en 1867, l'A.I.T. n'a connu qu'un développement restreint, et mérite alors pleinement (mais alors seulement) la définition qu’on en a donnée, d'une « grande âme dans un petit corps ». Paradoxalement, les syndicats anglais qui ont joué un rôle majeur dans sa création se sont tenus sitôt après dans une prudente réserve. Ils forment le groupe national le plus important au sein de l'Association - du moins dans les trois premières années de son existence : 17 sociétés ouvrières adhérentes en 1866, représentant environ 25.000 membres. Mais ce n'est là qu'une fraction infime de la masse des syndiqués anglais. De même, en dépit de la présence au Conseil général de trois des membres de sa Junta, le London Trades Council a catégoriquement refusé de s'affilier (1866). Les unions, solidement attachées à un réformisme très efficace dans les conditions anglaises du moment, n'ont pas voulu dans leur grande majorité s'engager dans les voies nouvelles proposées par Marx. Les ouvriers anglais aideront volontiers les grévistes du continent, à charge de revanche ; mais ils paraissent avoir vu dans l'établissement d'une coopération ouvrière internationale essentiellement le moyen d'émousser une arme utilisée à maintes reprises par les patrons anglais dans les conflits sociaux, l'importation d'ouvriers du continent. C'est sur ce point qu'insistait d'abord leur adresse de 1863 aux ouvriers français : « Lorsque nous essayons d'améliorer nos conditions sociales, soit en diminuant les heures de travail, soit en rehaussant son prix, on nous menace toujours de faire venir des Français, des Allemands, des Belges qui travaillent à meilleur compte. Nous espérons que (nos rapports) auront pour résultat d'élever les gages trop bas au niveau de ceux qui sont mieux partagés, d'empêcher les maîtres de nous mettre dans une concurrence qui nous rabaisse à l'état le plus déplorable. »

Dès lors l'A.I.T. et l'unionisme anglais vont suivre des routes de plus en plus divergentes, jusqu'à la rupture qui intervient au moment de la révolution communaliste de 1871. L'Internationale sera essentiellement continentale.

Or, sur le continent, l'implantation n'est pas tout de suite des plus solides. En France, une section parisienne s'est constituée en 1865 - son siège est au 44 de la rue des Gravilliers - mais compte bien peu d'affiliés, 200 en 1865, 600 en 1866. Il s'est formé de multiples sections provinciales de 1865 à 1867, mais le nombre de leurs adhérents est plus infime encore. Quelques-unes seront le noyau d'un essor ultérieur, Lyon (fondée en 1865, 500 membres en 1867), Rouen, Marseille (fondée en juillet 1867)… La plupart des sections qui se forment alors n'ont qu'une existence nominale, leur courte vie n'ayant laissé aucune trace : ainsi celles de Castelnaudary, Caen, Condé-sur-Noireau, Auch, Orléans, Rennes, Nantes ... et bien plus encore celles d'Alger ou de La Guadeloupe. Les adhésions sont d'ailleurs exclusivement individuelles, et il n'existe pratiquement aucune société ouvrière affiliée, à l'exception peut-être de la minuscule société des relieurs, animée par Eugène Varlin. En Suisse, les progrès semblent avoir été plus rapides. Plusieurs sociétés ouvrières (peu nombreuses) ont adhéré en bloc. Au printemps 1865, le docteur Coullery a fondé la section de La Chaux-de-Fonds, qui a un journal, La Voix de l'Avenir, en 1866, James Guillaume celle du Locle, avec pour journal Le Progrès ; à leur suite, le Jura suisse se couvre de sections : en 1867 apparaissent celles de Genève, Lausanne, Zurich, Bâle, Berne ; la Suisse allemande a ses sections d'émigrés allemands. Mais, comme en France, le nombre total d'adhérents est réduit. La Belgique, pourtant le pays européen le plus industrialisé après l'Angleterre, est encore peu touchée, en dépit de la formation d'une importante section à Bruxelles, et de la propagande activement menée par quelques dirigeants ouvriers, comme César de Paepe.

L'A.I.T. n'a encore aucun écho en Espagne ni en Italie. Presque aucun en Allemagne, malgré l'existence de sections - nominales - à Mayence, Cologne, Magdebourg, Berlin, Leipzig, Dresde... Le groupement ouvrier le plus important, l'Association générale ouvrière, est d'inspiration lassallienne, et, au scandale de Marx, paraît chercher la solution du problème social dans une entente avec le gouvernement bismarckien. Hors d'Europe, on peut considérer également comme négligeable l'existence de deux sections d'émigrés aux Etats-Unis, ou les contacts épisodiques noués entre quelques sociétés ouvrières américaines et le Conseil général.

 

Liquidation d'un -passé  - Sur le plan idéologique également, la situation est loin d'être mûre, et les dirigeants des principaux mouvements nationaux adhérents se montrent peu disposés à suivre la ligne de conduite qui a été tracée par Marx : on l'a vu dans le cas de l'Angleterre, mais les délégués continentaux, pour d'autres raisons, ne sont pas moins réticents, comme le font apparaître les débats des premiers congrès. Un premier congrès, prévu pour 1865 à Bruxelles, n'a pu avoir lieu et a été remplacé par une conférence tenue à Londres, où l'on s'est d'ailleurs contenté d'affermir et d'étendre les contacts noués en 1864, sans entamer vraiment la discussion des principes.

Au Congrès de Genève (3-8 septembre 1866), le ton des débats a été donné par la délégation française, tout entière proudhonienne, dirigée par Tolain. La plus grande partie de la discussion a porté sur le Mémoire élaboré par la section parisienne, qui est une véritable somme du proudhonisme. Les représentants français défendent l'idée de l'émancipation ouvrière par la généralisation de la coopération, ou plus exactement du « mutuellisme » de Proudhon, qui entend « établir l'échange sur les bases de la réciprocité, par l'organisation d'un système de crédit mutuel et gratuit, national, puis international ; il ne s'agit pas de détruire la société existante, mais de l'aménager » ; le capital est aussi nécessaire à la production que le travail. »  Les proudhoniens français s'opposent aux grèves, néfastes tout autant à l'ouvrier qu'au patron, Selon eux, le mouvement ouvrier ne doit rien attendre de l'Etat, qui ne peut être qu'oppresseur, et ne saurait par conséquent se mêler en aucune façon de politique. Rien de moins révolutionnaire que leurs perspectives: n Nous voulons fonder, dira l'un d'eux, une association qui, par l'étude, amène progressivement l'émancipation du travail. »

En outre, le Congrès se prononce sur la réduction des heures de travail, la suppression du travail des femmes et des enfants (autre idée proudhonienne), la nécessité de la multiplication des sociétés ouvrières, l'élaboration d'une statistique des conditions du travail en chaque pays, en même temps que sur l'abolition des armées permanentes, le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes et l'émancipation de la Pologne.

Au Congrès de Lausanne (2-8 septembre 1867), la prééminence française est encore nette, quoique déjà entamée. Tolain s'attaque une fois de plus à la grève « guerre nécessaire quelquefois, mais jamais juste ». Le Congrès prône toujours comme solution du problème social le crédit mutuel et la coopération, tout en soulignant cependant déjà les limites de celle-ci, et le risque grave qu'elle présente d'amener la formation d'une espèce d'aristocratie ouvrière : « les efforts tentés aujourd'hui par les associations ouvrières, si elles tendent à se généraliser en conservant leur forme actuelle) tendent à constituer un quatrième état ayant au dessous de,lui un cinquième état plus misérable encore. » D'autre part le délégué belge De Paepe, bien que lui-même fortement influencé par le mutuellisme, défend l'idée de « l'entrée du sol à la propriété sociale », amorce de ce que sera le « collectivisme » ; la proposition est repoussé mais fera son chemin dans les congrès suivants.

Sous l'influence française, l'Internationale paraît s'aligner sur des principes très éloignés de ceux qui avaient été posés dans l'Adresse inaugurale. Marx en a montré quelque humeur: « Messieurs les Parisiens avaient la tête pleine des phrases de Proudhon les plus vides; ils parlent de science et ils ne savent rien. » On doit pourtant souligner qu'il n'a jamais pris la peine de combattre officiellement les positions proudhoniennes au sein de l'Internationale. C'est qu'en réalité, le triomphe apparent des idées proudhoniennes n'est déjà plus qu'anachronisme, victoire posthume. Même et surtout en France, elles ne répondent plus à l'évolution réelle du mouvement ouvrier.

Les proudhoniens en sont encore à prêcher la coopération, mais en régime bourgeois, les entreprises qui se voulaient réellement ouvrières ont toutes échoué et ce sont des auteurs bourgeois qui ont repris à leur compte l'idée coopérative, dès lorsqu*elle ne paraît pas dangereuse pour l'ordre social. Il ne veulent pas de grève, mais en dépit de la théorie les grèves n'ont pas cessé, et se multiplient depuis 1864 : parmi les plus retentissantes les deux grèves des bronziers de Paris - corporation à laquelle appartient Tolain - de 1865, pour la journée de dix heures, de 1867, dirigée contre des patrons qui prétendent interdire à leurs ouvriers l'adhésion à la Société de solidarité, syndicat (sans le nom) des ouvriers du bronze.  Pas d'action politique, mais la masse des ouvriers français n'a rien perdu de sa vieille mentalité jacobine. D’ailleurs le bureau de la section parisienne se trouve malgré lui mêlé à la politique : pour avoir organisé la solidarité autour de la grève du bronze, pour avoir participé à une manifestation à la mémoire du républicain italien Manin, le gouvernement impérial lui intente le 30 décembre 1867 un procès en association non autorisée. Fait significatif d'une sensible évolution dans le mouvement, pendant le procès de nouvelles élections (mars 1868) ont désigné pour succéder à la première commission empêchée, qui était unanimement proudhonienne, usa seconde commission, dirigée par Eugène Varlin et Benoît Malon, qui ne va pas tarder à s'orienter dans d'autres voies, « collectivistes » et révolutionnaires. L'évolution  n'est pas seulement parisienne ou française ; dans tous les pays l'année 1868 marque un tournant dans l'histoire de l'Internationale.

 

L'essor (1868-1870) – « Après une époque de développement paisible - souligne le Conseil général dans son rapport au Congrès de Bruxelles (1868) - l1 A.I.T a pris des dimensions assez puissantes pour provoquer les dénonciations haineuses de la bourgeoisie européenne et les démonstrations hostiles des gouvernements. » Dans les pays où elle était déjà implantée, France, Suisse, Belgique, l'organisation prend en effet une ampleur sans précédent.

Cet essor est la conséquence du puissant mouvement de grève des années 1868 et 1869, lui-même effet de la grave  crise économique de 1867. En mars-avril 1868t 3 .000 ouvriers du bâtiment de Genève se mettent en grève pour les dix heures et un tarif minimum. En Belgique, les réductions de salaires et les licenciements provoquée par la crise charbonnière entraînent un vaste mouvement revendicatif en 1868 dans le bassin de Charleroi, en 1869 dans le Borinage, en France, depuis la fin de 1868 et pendant toute l'année 1869, les grèves se multiplient dans les régions textiles et minières et dans la plupart des grandes villes industrielles : à Paris et à Lyon, à partir du milieu de 1869 et jusqu'au milieu de 1870, toutes les corporations ou à peu près sont touchées par le mouvement ; on assiste à Lyon à la première grande grève d'une corporation féminine, celle» des ovalistes). Quelques-unes de ces grèves ont été sanglantes, surtout dans les mines, en Belgique celles de l'Epine (1866) dans le bassin de Charleroi, de Seraing (avril 1869) dans le Borinage, en France celles de La Ricamarie (13 morts en juin 1869), d'Aubin (14 morts en octobre)»

Les gouvernements sont unanimes pour attribuer la responsabilité de ces grèves à l'Internationale, bien à tort. Tout au plus celle-ci s'est-elle efforcée d'organiser par des souscriptions la solidarité internationale autour de quelques unes d'entre elles (ouvriers du bâtiment de Genève, ovalistes; lyonnaises, mégissiers parisiens...), mais cette ressource s'est trouvée très vite épuisée. En revanche - E. Dupont, représentant du Conseil général au Congrès de Bile le souligne fort bien pour Lyon – « ce n'est pas l'Internationale qui jeta les ouvriers dans la grève, c'est la grève qui les jeta dans l'Internationale. »

« Les grèves indiquent une certaine force collective, une certaine entente chez les ouvriers ; ensuite chaque grève devient le point de départ de nouveaux groupements. Plus la lutte devient active, plus la fédération des prolétaires doit s'étendre et se renforcer, » (L1Internationale, organe des sections belges, 27 mars 1869).

En effet, le mouvement ouvrier des années 1868-1870 n'en est pas resté au simple stade de la coalition momentanée. Dans la plupart des cas, la grève a été le point de départ d'un puissant mouvement d'association syndicale, soit qu'elle ait révélé à l'occasion du conflit l'existence d'une organisation corporative latente ou dissimulée, soit qu'elle ait fait prendre conscience aux ouvriers coalisés provisoirement de la nécessité d'un groupement durable. Des sociétés de secours mutuels, de solidarité, de résistance, qui, sous des formes diverses, sont de véritables syndicats, naissent ou renaissent. Nombre d'entre elles donnent leur adhésion à l'Internationale, dont les effectifs se gonflent subitement. Au Congrès de Bruxelles, le délégué genevois rend compte des progrès réalisés dans sa ville : « Il y a à peu  près six mois, nous avons eu une grève terrible... (Les ouvriers) n'étaient que deux sections avant la grève; maintenant ils ont 24 sections, renfermant 4.000 membres. » Et un délégué belge: « Depuis les derniers désastres de Charleroi, l'Association a fait des progrès rapides ; vingt nouvelles sections ont été formées, dont plusieurs contiennent jusqu'à 800 membres. ». 

Durement éprouvée par les grèves, la Belgique est le pays où l'Internationale se développe le plus rapidement. L'organisation s'est solidement implantée dans toutes les grandes villes : outre Bruxelles, Liège, Anvers (où a eu lieu en janvier 1869 une grève des ouvriers voiliers), Bruges (section formée en août 1868), Namur (mai 1869), Gand..., le bassin de Charleroi compte 42 sections au début de 1869, 50 en 1870, le Borinage peut-être 30.000 Internationaux en 1869. Les sections sont regroupées en fédérations : du Borinage, des vallées de la Vesdre (autour de Verviers, avec pour journal Le Mirabeau), des sections du centre (autour de La Louvière), de la région bruxelloise ; il y a quatre fédérations dans le seul bassin de Charleroi. Un Conseil général belge à Bruxelles dirige le tout. Deux congrès nationaux ont prévus chaque année; quatre se tiennent en 1868 et 1869.

Les progrès ne sont pas moins rapides en France, en dépit d'une persécution impériale toujours plus vive ; ainsi la seconde commission parisienne s'est-elle vue à son tour infliger un procès, et à la fin de 1868 l'organisation dans la capitale est apparemment complètement disloquée. L'essor n'en est pas interrompu pour autant, bien au contraire, et c'est sans doute en ce pays que l'évolution du mouvement ouvrier et de l'Internationale vers les formes syndicalistes révolutionnaires est la plus nette. Cette évolution a commencé en 1867 lorsque des délégations ouvrières élues - comme en 1862 - pour assister à l'Exposition universelle de Paris, ont constitué une commission de discussion, parlement ouvrier au petit pied qui siège en 1867 et 1868 ; au premier rang de leurs revendications, le droit de constituer librement des chambres syndicales dans chaque profession. L'Empire se refuse à accorder la liberté d'association, mais promet en août 1868 une assez large tolérance. Plus encore que cette demi libération, c'est la grande vague de grèves de 1868-1869 qui donne au mouvement syndical son plein essor» Les chambres corporatives se multiplient alors et bon nombre d'entre elles tendent à se rapprocher de l’Internationale. A Paris, une Chambre fédérale (formée entre mars et décembre 1869) réunit les principales sociétés ouvrières de la capitales elle est en principe indépendante de l'Internationale - qui  n’a plus d'existence officielle - mais tous ses créateurs et ses animateurs (parmi lesquels Varlin) s'ont des internationaux. Parallèlement, ceux-ci parviennent, au début de 1870, à constituer un réseau de sections de quartiers, rassemblées à leur tour (mars 1870) en une Fédération des sections parisiennes. Fédération des sections et Chambre fédérale mènent la lutte étroitement associées. De même façon, la section de Rouen, animée par Emile Aubry, a regroupé les sociétés ouvrières de la ville et des environs en une Fédération ouvrière rouennaise. Des fédérations semblables se constituent à Marseille (5 décembre 1869) sous l'impulsion d'André Bastelica, à Lyon (13 mars 1070) sous l'impulsion d'Albert Richard. Nourrie de ces adhésions collectives, l'Internationale française est désormais une force ; elle compte peut-être en 1870 2 à 300.000 adhérents. Et les internationaux français ne dédaignent plus de se mêler de politique. Ils luttent contre l'Empire aux côtés des bourgeois républicains radicaux : à leurs côtés, mais sans se confondre vraiment avec eux, car la révolution qu'ils attendent ne doit pas être seulement politique, mais avant tout sociale. Et Varlin, dans un article de mars 1870, retrouve presque exactement le ton des projets de Marx de 1864 et 1865 :

« Les sociétés ouvrières, sous quelque forme quelles existent actuellement, ont déjà cet immense avantage d'habituer les hommes à la vie de société, et de les préparer ainsi pour une organisation sociale plus étendue... Beaucoup de leurs membres, souvent, sont inconscients au début du rôle que ces sociétés sont appelées à remplir dans l'avenir ; ils ne songent d'abord qu'à résister à l’exploitation du capital ou à obtenir quelque amélioration en détail, mais  bientôt les rudes efforts qu'ils ont à faire pour aboutir à des palliatifs insuffisants les amènent fatalement à rechercher les réformes radicales qui peuvent les affranchir de l'oppression capitaliste (Marseillaise. 11 mars 1870). »

D'autre part, l'Association étend à partir de 1869 son influence à des pays qu'elle n'avait pratiquement jusqu'alors pas touchés. En Espagne, des sections, puis des fédérations de sociétés ouvrières se forment à Barcelone, Madrid, aux Iles Baléares. En Italie, Naples a une section centrale et une section d'ouvriers mécaniciens, Florence une section formée de la réunion de plusieurs sociétés ouvrières. En Allemagne, un certain nombre de sociétés ouvrières et socialistes viennent de rompre avec le socialisme lassallien et forment au Congrès d'Eisenach un parti démocrate-socialiste, sous la direction de Liebknecht et de Bebel, dont le programme est très proche des idées développées par Marx. Ce parti ne peut en vertu des lois allemandes adhérer ouvertement à l'A.I.T, mais se déclare « solidaire de ses aspirations » : Liebknecht le représente au Congrès de Bâle ; au même moment d'ailleurs, l'organisation lassallienne esquisse un rapprochement avec l'Internationale. Celle-ci a encore des sections en Autriche, en Hollande, au Danemark . L'Union nationale américaine du Travail paraît vouloir resserrer ses liens avec le prolétariat européen et envoie un observateur à Bâle. Il semble même qu'à la Balte de dures grèves et de difficultés avec le gouvernement anglais, les Trade-unions tendent à prendre une part plus active à la vie de l'Association qu'ils n'ont fait jusque là : le Congrès de Birmingham recommande « chaudement » aux unions de s'intégrer à l'A. I.T.

 

Les Congrès de Bruxelles et de Bâle  -  Les débats des congrès traduisent sur le plan idéologique cette évolution de fait. A Bruxelles (6-13 septembre 1868), les délégués se prononcent pour la légitimité et la nécessité de la grève et d'une fédération des sociétés de résistance. Ils réaffirment encore la nécessité de la coopération ouvrière, mais dans des perspectives tout autres qu'aux congrès précédents : les associations coopératives doivent former la base de la future société socialiste émancipée. Sur proposition des Belges, le Congrès se déclare partisan de l'appropriation collective du sol, des mines, carrières, forêts, moyens de transport, au grand scandale du dernier carré des proudhoniens français. Il décide enfin la grève générale en cas de guerre, proposition que Marx juge d'ailleurs - étant donné la faible organisation du mouvement ouvrier européen - passablement utopique.

Le Congrès de Bâle (5-12 septembre 1869) - dernier grand congrès de l'A.I.T. - est une réunion authentiquement internationale : 72 délégués, dont 27 Français, 24 Suisses, 10 Allemands, 6 Anglais, 5 Belges, 2 Autrichiens, 2 Italiens, 2 Espagnols, 1 Américain, On y fait décisivement le point de l'évolution accomplie depuis 1867. Les décisions collectivistes qui ont été prises à Bruxelles sont confirmées: par 54 voix contre 4 et 13 abstentions (l'opposition est toujours française). « Le Congrès déclare que la société a le droit d'abolir la propriété individuelle du sol et de faire entrer le sol à la communauté. » Puis « il déclare encore qu'il y a aujourd'hui nécessité de faire entrer le sol à la propriété collective. » Il est proposé que toute section de l'Internationale prépare, pour le prochain congrès, un travail sur le mode pratique d'amener la solution de la question de la propriété collective.1 Hais bien plus importante peut-être la résolution - prise unanimement - qui affirme la nécessité d'une organisation syndicale internationale de la classe ouvrière :

« Le Congrès est d'avis que tous les travailleurs doivent s'employer activement à créer des sociétés de résistance dans les différents corps de métiers. À mesure que ces sociétés se formeront, il invite les sections, groupes fédéraux ou groupes centraux à en donner avis aux sociétés de la même formation afin de provoquer la formation d'unions internationales de corps de métier. Ces fédérations seront chargées de réunir tous les renseignements intéressant leur industrie respective, de diriger les mesures à prendre en commun ; de régulariser les grèves et de travailler activèrent à leur réussite, en attendant que le salariat soit remplacé par la Fédération des producteurs libres.

Or, alors même que paraissent triompher les thèses posées dans l'Adresse inaugurale, de nouvelles difficultés s'élèvent, nées de la querelle entre « marxistes » et « bakouninistes », et qui entraîneront finalement la dislocation de l'Internationale, pour une part tout au moins.

Bakounine » - Le révolutionnaire russe (1814-1876), récemment échappé de Sibérie en 1861, est venu  s'installer en Italie en 1864. C'est là que prenant le contre-pied du mazzinisme, nationaliste, centralisateur, petit-bourgeois, il élabore ses projets de révolution radicale, négatrice absolue de l'ordre existant. Le programme d'une des multiples sociétés révolutionnaires secrètes conçues par Bakounine entre 1865 et 1870 en résume assez bien les objectifs :

« Nous voulons une radicale et universelle révolution philosophique, politique, économique et sociale à la fois, afin que de l'ordre de choses actuel il ne reste pas pierre sur pierre et que puisse venir une société basée sur le développement intégral de la personne humaine…  Destruction absolue de tout état, de toute église, de toute institution religieuse, politique, bureaucratique, juridique, financière, policière, économique, universitaire et fiscale... En révolution, nous sommes les ennemis de tout ce qui est système autoritaire, prétention à la direction officielle du peuple... Pleins de confiance dans les instincts des masses populaires, notre moyen de révolution est dans le déchaînement organisé de ce qu'on appelle aujourd'hui les mauvaises passions. Nous invoquons l'anarchie, cette manifestation de la vie et des aspirations populaires d'où doivent sortir la justice, la liberté, l'ordre nouveau et la force même de la révolution. »

Bakounine est à la recherche d'une organisation qui lui permette de propager ses idées. Il a d’abord cherché à utiliser la franc-maçonnerie italienne, puis tenté de s'immiscer dans la Ligue de la Paix et de la Liberté, organisation internationale fondée par des bourgeois républicains. L'Internationale ouvrière en plein essor apparaît comme l'instrument idéal. Quittant avec quelques amis français et Italiens la Ligue de la Paix, il fonde en septembre 1868 l'Alliance internationale de la Démocratie socialiste, qui demande à adhérer à l'A.I.T. : l'organisation ne paraît alors avoir eu de section réellement constituée qu'à Genève. Par prudence, son programme ne reprend que sous une forme très édulcorée les principales idées anarchistes : athéisme, égalisation politique, économique et sociale des classes et des individus, abolition de  l'héritage, abolition de l'état ; mais selon les habitudes bakouniniennes, une alliance secrète composée d'éléments sûrs double l'alliance officielle. Après de longues hésitations, le Conseil général accepte son adhésion (juillet 1869). L'influence du bakouninisme fait alors de rapides progrès au sein de l'Internationale, essentiellement d'ailleurs dans les pays de développement industriel récent, où la classe ouvrière est encore jeune, peu nombreuse et inexpérimentée. « En Italie - écrit Bakounine - le socialisme n'est encore que dans son enfance... Les ouvriers italiens se trouvent encore dans une ignorance quasi absolue des vraies causes de leur position misérable, et ils méconnaissent pour ainsi dire la vraie nature de leurs propres instincts... Par conséquent l'initiative de la révolution socialiste ne peut venir d'eux. Ils doivent la recevoir du dehors. »

Toutes les sections italiennes sont en effet bakouninistes. En Espagne, c'est un disciple de Bakounine, Fanelli, qui a présidé à la formation des sections de Madrid et Barcelone, mêlant  habilement la propagande pour l'Internationale et celle pour l'alliance anarchiste. Emprise superficielle ou profonde, il est difficile d'en décider. Le socialisme italien abandonnera assez vite les voies de l'anarchisme, tandis que la classe ouvrière espagnole en restera profondément marquée. « Anarchistes » également les ouvriers horlogers du Jura suisse, menés par James Guillaume, chez qui l'habitude d'un travail dispersé à domicile a ancré de vigoureuses traditions d'indépendance. Quelques jalons ont été posés en France, mais de la conversion (très imparfaite) de quelques dirigeants, comme Albert Richard ou Bastellca, il ne s'ensuit nullement qu’avant 1871 le mouvement ouvrier français ait été réellement touché.

La querelle suisse  - Tout oppose évidemment Marx et Bakounine. Tous deux sont d'accord, ou à peu près, sur la nécessité de la résistance syndicale ou de la collectivisation, mais divergent immédiatement sur les moyens à employer et les buts à atteindre. Marx incrimine chez Bakounine la faiblesse théorique et la dangereuse précipitation révolutionnaire ; Bakounine critique l'organisation et la discipline dont Marx veut doter le mouvement ouvrier et l'accusent d'autoritarisme. Ils ne pouvaient manquer de se heurter.

On a exagéré cependant ka portée de leur querelle au sein de l’Intemationale avant 1871. Il n'existe pas encore dans l'organisation de parti « anti-autoritaire » (les sections italiennes et espagnoles viennent à peine de naître)0 pas davantage de parti marxiste « autoritaire » (ce serait interpréter à contresens l'attitude, toute de prudente réserve, qui a été celle de Marx depuis 1864). Les grandes fédérations nationales ont d'autres préoccupations. Certes la lutte est déjà engagée mais se mène par des voies détournées. Elle ne deviendra ouverte que dans une Internationale déjà en décomposition, après la défaite de la Commune parisienne.

Bakounine a lancé une première offensive au Congrès de Baie, faisant inscrire au programme de discussion l'abolition de l'héritage, qui est pour les bakouninistes le prélude à l'égalisation des classes. Marx traite le projet de séquelle attardée du saint-simonisme et le fait combattre par les représentants du Conseil général. Aucune majorité n'a pu se dégager vraiment dans l'un ou l'autre sens (32 oui, 23 non, 13 abstentions), et il serait de toute façon bien imprudent de créditer des oui ou des non le « parti » bakouniniste ou le parti marxistet la plupart des votants n'ayant rien su en réalité des sous-entendus que recelait le vote.

En Suisse se livre un combat déjà plus rude, mais de portée encore limitée. A Genève, bien qu'admise sans l'A.I.T. par le Conseil général, la section de l'Alliance n'a pu se faire accepter au sein de la Fédération des sections romandes, devant l'opposition des autres sections genevoises et malgré l'appui des sections jurassiennes. « Anarchistes » et « socialistes » se heurtent notamment sur la question de la participation à la vie politique locale, les premier» la refusant énergiquement, les seconds acceptant la collaboration avec la bourgeoisie radicale. Ils se disputent la possession du journal L'Egalité, qui après avoir été l'organe du bakouninisme, passe en janvier 1870 aux mains des socialistes. Parmi les plus violents adversaires de Bakounine, Outine, le secrétaire de la section russe de Genève, instrument par ailleurs de Marx.

La querelle s'envenime et conduit bientôt à une scission au sein de la Fédération romande lors de son Congrès de La Chaux-de-Fonds (avril 1870) : Alliance et sections du Jura forment une fédération dissidente, qui prendra en novembre 1871 le nom de Fédération jurassienne. En ce débat, le Conseil général s'est efforcé d'observer une grande prudence, offrant de reconnaître en même temps les deux fédérations. Mais déjà, par la plume de Marx, il a énergiquement dénoncé les intrigues des bakouninistes de Genève pour s'emparer de la direction de l'Internationale, d’abord dans une communication « privée » adressée aux sections romandes (1er janvier 1870), puis dans une communication « confidentielle » à toutes les sections (mars 1870).

L'Internationale, la guerre et la Commune - A ce moment, l’Internationale a de plus graves préoccupations que la petite querelle des Suisses romands. La guerre franco-allemande éclate le 15 juillet 1870.

Contre elle se sont dressés en vain les Internationaux parisiens, dans un retentissant manifeste (12 juillet) : « La guerre, pour une question de prépondérance ou de dynastie, ne peut être, aux yeux des travailleurs, qu'une criminelle absurdité. En réponse aux acclamations belliqueuses de ceux qui s'exonèrent de l'impôt du sang, ou qui trouvent dans les malheurs publics une source de spéculations nouvelles, nous protestons, nous qui voulons la paix, le travail et la liberté... De toute notre énergie, nous protestons contre la guerre, comme hommes, comme citoyens, comme travailleurs. » A son tour, le Conseil général s'élève contre la guerre dans une adresse du 23 juillet, soulignant les responsabilités du bonapartisme dans le déclenchement du conflit.

La défaite de Sedan ayant jeté bas le régime impérial, il salue d'une seconde adresse la naissance de la République française le 4 septembre, tout en mettant en garde les ouvriers français contre une tentative de révolution prématurée contre le nouveau gouvernement, pourtant composé « en partie de républicains bourgeois, en partie d'orléanistes notoires, sur quelques-uns desquels l'insurrection de juin 1848 a laissé son stigmate indélébile… La classe ouvrière française se trouve placée dans des circonstances extrêmement difficiles. Toute tentative de renverser le nouveau gouvernement, quand l'ennemi frappe presque aux portes de Paris, serait une folie désespérée... Que calmement, résolument, ils profitent de la liberté républicaine pour procéder méthodiquement à leur organisation de classe. »

Le 28 septembre à Lyon, Bakounine, accouru tout exprès de Genève, a tenté de déchaîner les « mauvaises passions » populaires. Avec quelques séides, profitant d'une manifestation de chômeurs, il s'est emparé de l'Hôtel de Ville et empressé de proclamer l'abolition de l'Etat. Mais, souligne méchamment Marx, « l'Etat, sous la forme et l'espèce de deux compagnies de gardes nationaux bourgeois, entra par une porte qu'on avait oublié de garder et fit reprendre à la hâte le chemin de Genève à Bakounine. »

Mais l'insurrection prématurée que redoute Marx est celle de Paris. Elle se produit avec quelques mois de retard, c'est la Commune du 18 mars 1871, désastreuse pour le mouvement ouvrier français. Née de la colère lentement accumulée par une population exaspérée par un long siège inutile, par la défaite, par la trahison d'un gouvernement bourgeois qui ne songeait qu'à traiter au plus vite avec l'ennemi, l'insurrection est l'oeuvre d'un prolétariat encore tout imprégné des souvenirs de la Grande Révolution, et d'une mentalité toute jacobine. Elle apparaît comme la dernière des révolutions du XlXè siècle, et n'est socialiste que par raccroc.

 L'Internationale française y a joué un rôle non négligeable, mais non un rôle décisif. Elle avait abordé la guerre très affaiblie. L'Empire, par une ultime persécution (avril-juillet 1870) venait de tenter de la briser, procédant à des arrestations dans toute la France, intentant un troisième procès à ses dirigeants parisiens. A Paris, les membres des sections et des syndicats s'étaient dispersés, mobilisés dans les bataillons de garde nationale de leurs quartiers respectifs. Ce sont pourtant souvent au départ les Internationaux qui ont animé les Comités de vigilance d'arrondissements, et leur Comité central puis Délégation des Vingt arrondissements, foyers pendant le siège de la résistance populaire aux « trahisons » du Gouvernement de la Défense nationale, qui n'ont cessé de demander une conduite plus énergique de la guerre et ont tenter de l'imposer au cours de deux journées révolutionnaires, le 31 octobre 1870 et le 22 janvier 1871. Aux élections du 8 février 1871 à l'Assemblée nationale, les Parisiens ont désigné, au milieu d'une écrasante majorité de députés bourgeois radicaux, deux internationaux, Malon et Tolain. Ils n'ont pris en revanche aucune part, ou presque, à la constitution du Comité central de la Garde nationale qui prend le pouvoir au soir du 18 mars. Le Conseil de la Commune compte au moins une vingtaine d'internationaux, qui presque tous se rangeront dans la « minorité », opposée à la « majorité » jacobine. Le plus important de leur rôle est sans aucun doute l'administration du petit ministère du Travail de la Commune, la Commission du Travail et de l'Echange, qui, timidement, commence à procéder à l'expropriation des capitalistes et à la remise aux associations syndicales des instruments de production.

Cette révolution qui est encore d'ancien type, Marx la transfigure par l'explication qu'il en donne dans 1'adresse qui rédige au nom du Conseil général, le 30 mai 1871 (La Guerre civile en France). Des essais timides, incertains,souvent  contradictoires de la Commune, il tire une leçon qui va être d'une importance immense pour l'histoire ultérieure du socialisme : sa théorie de l'Etat. « La Commune était essentiellement un gouvernement de la, classe ouvrière..., la forme politique enfin trouvée qui permettait de réaliser l'émancipation économique du Travail. » Les ouvriers parisiens se sont emparés de la machine de l'Etat moderne mais non pour s'en servir telle qu’ ils l'ont trouvée» pour la briser. L'Etat n'est qu'une forme transitoire « que la société bourgeoise naissante avait entrepris de parfaire comme l'outil de sa propre émancipation du féodalisme et que la société bourgeoise pleinement développée avait finalement transformé en un moyen d'asservir le Travail au Capital. » En France, l'Empire vient de le porter à son plus haut degré de perfection dans la répression: « l'antithèse directe de l'Empire fut la Commune. » Les Communards ont commencé à détruire l'état oppresseur, « amputant les organes purement répressifs de l'ancien pouvoir gouvernemental », supprimant les armées permanentes, la police, la bureaucratie, faisant élire tous les fonctionnaires, brisant « l'outil spirituel de 1'oppression, le pouvoir de» prêtres » par la séparation de 1'Eglise et de l'état, remplaçant l'ancien gouvernement « surcentralisé » par la libre fédération de toutes les communes de France, chacune directement administrée par ses producteurs, entreprenant enfin l'émancipation du travail par l'organisation coopérative de la production. « La Commune n'était plus un état au sens propre », répétera Engels, leçon qui sera volontiers oubliée par les partis sociaux-démocrates de la Ile Internationale, mais magistralement reprise par Lénine, au moins pour un instant.

La fin de l'Internationale  - La défaite de la Commune sonne le glas de l’A.I.T. Une sévère répression s'abat sur Paris et sur la France, où quelques villes avaient tenté de se soulever en même temps que Paris ; le mouvement ouvrier en est saigné à blanc pour dix ans, la branche française de l'Internationale réduite à néant. Mais la répression s'étend également aux autres pays européens. Les partis de l'ordre ont forgé un véritable mythe de l'Internationale, et depuis la Commune, tous les gouvernements s'inquiètent de l'immense puissance que - bien à tort - on lui attribue : le ministère français, par la circulaire Jules Favre du 6 juin 1871, les a d'ailleurs conviés à une véritable croisade. L'Internationale est mise hors la loi en Espagne, ses membres « et tous les dirigeants ouvriers, soupçonnés de sympathies pour l'insurrection parisienne - poursuivis systématiquement au Danemark, en Autriche-Hongrie, en Allemagne où Bebel et Liebknecht sont condamnés le 27 mars 1872 à 18 mois de forteresse. D'autre part, à peu près seuls parmi les ouvriers européens, les trade-unionistes anglais, cramponnés décidément à leur réformisme, se sont refusés à soutenir et approuver la Commune : à l'exception d'Applegarth, ceux de leurs dirigeants qui faisaient partie du Conseil général, Odger, Cremer, Lucraft, refusent de contresigner l'adresse du 30 mai 1871 et se retirent. Défection grave : l'A.I.T. a perdu un de ses piliers majeurs , perte que ne compense pas la formation de sections locales dans plusieurs villes, regroupées sous la direction d'un nouveau Comité fédéral anglais.

Dans cette Internationale qui n'est plus que l'ombre d'elle-même, les querelles intestines font rage, querelles des proscrits français de la Commune entre eux et avec le Conseil général, querelle surtout, menée cette fois de part et d'autre avec acharnement, entre marxistes et bakouninistes, entre autoritaires et anti-autoritaires. Elle se développe essentiellement sur deux points : sur le problème de la discipline intérieure de l'A.I.T. - les bakouninistes exigeant l'autonomie complète pour les sections ou fédérations nationales et la fin de la « dictature » du Conseil général, et sur la question théorique de l'attitude du mouvement ouvrier à l'égard de là politique. Les anarchistes prêchent l'abolition révolutionnaire de l'état oppresseur, et dans l'attente, l'abstention totale en matière de politique, laquelle ne peut être que bourgeoise. Ainsi retrouvent-ils, après quelques années, les positions qui avaient été celles des proudhoniens et l'on recommence à se quereller sur la traduction des Considérants de 1864 et le « comme un moyen ». En apparence, la thèse marxiste du « dépérissement » de l'Etat semble proche de celle de l'abolition anarchiste ; en réalité les deux conceptions n'ont rien de commun. La machine d'état conquise, l'Etat ne dépérit que progressivement, et dans la période de dictature (démocratique) du prolétariat (dont la Commune aurait donné le premier exemple), ce dernier est amené à utiliser contre ,ses anciens oppresseurs sa force répressive. Bans la lutte immédiate, il faut savoir utiliser toute arme, même et surtout politique, la conquête du pouvoir étant par excellence un acte politique.

Il y a bien cette fois deux partis bien tranchés, aucun des deux n'hésitant d'ailleurs à utiliser les pires procédés contre l’adversaire. Bakounine a une longue habitude des conspirations, et de son côté, pour préserver l'avenir, Marx ne veut à aucun prix abandonner une Internationale même mourante aux mains de ses adversaires. Dans l'impossibilité de tenir un congrès en 1871», le Conseil général convoque une Conférence à Londres. Hasard des circonstances ou précaution systématique - les anarchistes choisissent cette seconde interprétation - elle compte, sur 23 délégués, 13 représentants du Conseil général entièrement fidèles à Marx, et seulement 4 opposants anarchistes, dont le français Bastelica et l'espagnol Lorenzo, le belge De Paepe s'efforçant vainement à une prudente conciliation. Or des décisions d'extrême importance y sont prises, dont les opposants objectent en vain qu'elles seraient su ressort d’un congrès. Marx fait triompher ses thèses dans la résolution IX sur l’action  politique de la classe ouvrière.

« Considérant

Que contre le pouvoir collectif des classes possédantes le prolétariat ne peut agir comme classe qu'en se constituant lui-même en parti politique distinct, opposé à tous les anciens partis formés par les classes possédantes ;

Que cette constitution du prolétariat en parti politique est indispensable pour assurer le triomphe de la révolution sociale et de son but suprême l'abolition des classes ;

Que la coalition des forces ouvrières déjà obtenue par les luttes économiques doit aussi servir de levier aux mains de cette classe dans sa lutte contre le pouvoir politique de ses exploiteurs,

La Conférence rappelle aux membres de l'Internationale que dans l'état militant de la classe ouvrière, son mouvement économique et son action politique sont indissolublement unis. »

En revanche, évitant de tranoher dans la querelle suisse, la Conférence accepte une fois de plus l'existence simultanée d'urne fédération romande et d'une fédération jurassienne. La lutte n'en continue pas moins avec âpreté.Les sections du Jura, réunies en Congrès à Sonnailles (12 novembre 187l) refusent absolument de souscrire aux décisions prises à Londres. En 1872, le Conseil général dévoile les intrigues des anarchistes au sein de l'A.I.T. dans une circulaire privée, Les prétendues scissions dans l'Internationale, à laquelle réplique immédiatement une Réponse de quelques internationaux membres de la Fédération jurassienne.

La scission se consomme  au Congrès de La Hayes (2-7 septembre 1872), où 67 délégués représentent une Internationale extrêmement amoindrie. Les Jurassiens y viennent avec mandat de demander « l'abolition du Conseil général et la suppression de toute autorité dans l'Internationale ». Mais les « marxistes » possèdent une confortable majorité, convenablement préparée d’ailleurs par Marx. Le Congrès approuve les ternes de la résolution IX de Londres, confirme l'autorité du Conseil général, prononce l'exclusion de Bakounine et de J. Guillaume. Enfin, sur proposition de Marx et d'Engels, décision est prise de transférer le Conseil général à New York.

Cette décision est un coup de grâce. Les marxistes conservaient la vieille maison, mais elle était décrépite : Marx souhaite d'ailleurs sa disparition. Pour recommencer la lutte, il faut attendre que les échos de la Commune se soient apaisés, attendre surtout que les classes ouvrières des différents pays se soient donné cette solide organisation politique dont les leçons des années 1864-1871 ont montré le caractère indispensable. " »L'Internationale, écrit Engels à Sorge, membre du nouveau Conseil général, a dominé dix années d'histoire européenne d'un certain côté, du côté ou est l'avenir et elle peut regarder fièrement en arrière sur son oeuvre. Mais elle s'est survécue sous sa forme ancienne. Je crois que la prochaine Internationale sera, après que les écrits de Marx auront agi quelques années, directement communiste et implantera nos principes. »

Le dernier acte du Conseil général londonien est la publication d'un rapport dirigé contre les anarchistes : L'Alliance de la démocratie socialiste et l'A.I.T. A New York, l’A.I.T. s'éteint doucement ; une tentative pour réunir en 1873 un Congrès à Genève est un fiasco. Le 15 juillet 1876, la Conférence de Philadelphie prononce la dissolution du Conseil général.

 

L'Internationale anti-autoritaire -  « Cependant les anti-autoritaires ne s’avouaient pas pour autant vaincus. A La Haye, l'exclusion de Guillaume et de Bakounine provoque la scission d'une minorité de 17 délégués (dont 6 Belges, 3 Hollandais et les 4 Espagnols). Pour leur part les sections italiennes, constituées en fédération à la Conférence de Rimini 1l87l) avaient poussé l'opposition à l'autorité londonienne jusqu'à refuser d'envoyer des délégués au Congrès. Une semaine après la clôture de celui-ci, le 15 septembre 1872, les représentants de 5 fédérations dissidentes, la jurassienne, l'italienne, l'espagnole - restée solidement bakouniniste en dépit des efforts de propagande à Madrid du gendre de Marx, Lafargue - une squelettique fédération américaine et une fantomatique fédération française, tiennent un Congres extraordinaire à Saint-Imier; ils déclarent rompre avec le Conseil général, concluent un pacte de solidarité, inscrivent à leur programme la destruction de tout pouvoir politique comme premier devoir du prolétariat. Pendant quelque temps, cette Internationale dissidente va faire montre de beaucoup plus de vigueur que l'organisation officielle à New York. À l'exception des Allemands, à peu près toutes les fédérations qui subsistent en Europe viennent la rejoindre, et notamment (1876) l’encore puissante organisation belge. Se prétendant la véritable continuatrice de l'A.I.T., elle tient à Genève (1er-6 septembre 1875) le Sixième Congrès général, qui vote à l'unanimité l'abolition du Conseil général, adopte de nouveaux statuts qui respectent l'autonomie des sections, et se prononce pour la grève générale comme moyen d'émanciper révolutionnairement les travailleurs. L'année suivante, elle réunit un 7è Congrès à Bruxelles, et un 8è à Berne en octobre 1876.

En réalité, hormis le cas belge et espagnol, elle n'a jamais réuni que les représentants de petites minorités, dans une période de complète désorganisation du mouvement ouvrier. Ses forces s'amoindrissent insensiblement. Bakounine, fatigué des luttes révolutionnaires et voyant sans doute le médiocre résultat de ses efforts, l'a quittée la fin de 1874, et meurt le 14 juillet 1876. Plusieurs des meilleurs représentants français, communards en exil, l'abandonnent à leur tour, Benoît Malon, Jules Guesde... Pressés de passer aux actes révolutionnaires, les Italiens ont rompu avec elle, pour tenter en 1874 quelques insurrections anarchistes locales. Un courant plus modéré, socialiste, commence à faire en Italie concurrence aux organisations anarchistes. Les Belges ne se sont ralliés que temporairement et reprennent peu à peu le chemin du socialisme organisé. Partout en somme, avec la renaissance du mouvement ouvrier, l'influence de l'anarchisme décline devant celle du socialisme. L'Internationale anti-autoritaire tient son dernier Congrès à Verviers (6-8 septembre 1877), et l'ultime citadelle, la Fédération jurassienne, le sien à La Chaux-de-Fonds, les 9 et 10 octobre 1880. L'anarchisme va continuer sous d'autres formes. Le temps des partis socialistes, politiques et nationaux, est venu.

 

 

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